Si les vinyles m’étaient contés

À l’affiche au OFFTA, le collectif montréalais PME-ART donnait aujourd’hui la vingt-troisième présentation du DJ qui donnait trop d’information (Hospitalité 5) au Phonopolis. 1000 vinyles, 1000 histoires. Une performance surprenante, joyeuse et rafraîchissante.

J’ai grandi dans une famille de musiciens et de producteurs de musique, DJ pour financer les projets plus personnels, parfois périlleux économiquement. J’ai toujours entendu une règle d’or, une seule : WE DON’T TALK TO THE DJ (c’est un peu comme dans Fight Club). On le laisse tranquille, on ne l’emmerde pas avec des questions du style : tu mets Michael Jackson? Tu mets Nancy Ajram*? Tu as le remix par Prodigy? Tu aimes ce que tu mets? Tu écoutes quoi chez toi? Tu prends un verre après? Tu connais cette toune lalalaaatictic? Si, je t’assure, écoute encore, LALALAATICTIC… Bref, on fout la paix au DJ, on garde en tête qu’il n’est pas là pour parler, il est là pour mettre de la musique et faire danser les gens, point-barre.

Derrière leurs platines, Caroline Dubois, Claudia Fancello et Jacob Wren du collectif montréalais PME-ART dérogent à cette règle. Ils ont tout un tas de choses à dire et d’histoires à raconter. Dans des théâtres, des magasins de disques, des halls d’hôtels, des musées, des parcs et autres lieux divers, ils vous passent les vinyles qui les ont chamboulés, ceux qu’ils n’aiment plus trop, ceux qu’ils ont aimés à la folie, ceux qu’ils aimeront toujours, ceux qu’ils ne détestent pas tout à fait, ceux qui les font réfléchir, ceux qui les font rire, ceux qui leur font monter les larmes aux yeux…. Et vous racontent par le menu pourquoi. Aucun disque ne les laisse muets : 1 vinyle, 1 histoire, ou même 1 vinyle, 1 histoire à tiroirs, comme les poupées russes.

Le DJ qui donnait trop d’information (Hospitalité 5), était présenté pour la 23ème fois aujourd’hui, après une multitude de propositions dans divers lieux et de diverses longueurs. Au Phonopolis, il s’agissait d’une performance-surprise d’une heure, programmée pour ceux qui n’avaient pas pu voir la performance de 7 heures dans le cadre de l’OFFTA.

Les protagonistes du DJ qui donnait trop d’information décortiquent avec humour, ingéniosité, finesse et sensibilité le rapport particulier que chacun d’entre nous entretient avec la musique, en nous livrant leur histoire avec chacun des groupes qu’ils nous font écouter. En français et en anglais, ils nous convient avec une grande hospitalité dans leur collection de disques personnelle, qui retrace le fil conducteur de leurs parcours et de leurs vies. Et on s’en délecte.

Ces récits très personnels nous interpellent, nous font réfléchir, sourire, rire. Ils nous font porter un autre regard sur des événements similaires dans notre vécu, nous poussent à nous interroger sur notre propre perception de la musique. Un petit extrait (pour en savoir plus, il faudra aller à la 24ème présentation qui sera organisée probablement au bord d’un étang, dans une fête foraine ou dans une friperie!) Claudia Fancello met sur la platine un groupe suédois : « J’étais très fière de les avoir découvertes toutes seules. J’ai su à ce moment qui j’étais musicalement. Bon, j’avais 11 ans. » Jacob Wren raconte comment il a pris conscience qu’un de ses musiciens préférés était réel et non invicible, que ses excès pouvaient inquiéter. Caroline Dubois évoque un de ses béguins. L’objet de son désir lui avait demandé ce qu’elle aimait comme musique. Elle avait répondu Björk, hochement de tête approbateur de la part du jeune homme. Puis elle avait ajouté Cyndi Lauper, regard consterné de l’objet du désir. Caroline avait alors compris qu’il n’y avait pas d’espoir avec celui-ci. Elle avait réalisé pour la première fois que nous sommes évalués et jugés à travers nos goûts, nos personnalités soupesées et analysées par le prisme de nos collections de disques ou contenu de nos i-pod.

La musique imprègne nos vies, nos souvenirs, nos expériences, nos conceptions du monde et des relations… L’appréciation de la musique est d’ailleurs reliée à la sociabilité, les deux facultés étant localisées dans la même partie du cerveau*. On associe la musique à des personnes, des rencontres, des discussions, des contextes, des ruptures, des épreuves, des moments de grande tristesse ou de bonheur infini… Que celui qui n’a jamais arrêté d’écouter un album qui lui rappelait trop son ex me lance le premier vinyle. Je me suis fâchée à mort avec plusieurs groupes à cause de ruptures. J’avoue même avoir mis de côté certains de mes albums préférés dans des périodes difficiles pour pouvoir continuer à les écouter.

Chaque morceau apporte des réminiscences, chaque chanson évoque une histoire, une anecdote… Love will tear us apart de Joy Division, c’est quand je demandais à mon frère aîné c’est quoi le suicide. Summertime de Billie Holliday me rappelle ces soirées sur les escaliers du Mile-End passées à valser dans la rue et boire du vin…. With or Without you de U2 est relié à ce joueur de viole médiévale avec qui je sortais, qui ne connaissait pas U2 et pensait que j’écoutais de la musique « culinaire ». Et vous, que vous rappellent les morceaux dans votre i-pod?

Pourquoi aimons-nous tellement la musique? Parce qu’elle adoucit les mœurs? Parce qu’écouter de la musique stimule la sécrétion de dopamine, un neurotransmetteur qui a un effet stimulant sur le système nerveux central et qui ressemble à ceci ?

Pour emprunter les mots de Nick Hornby, la musique a ce formidable pouvoir de nous ramener en arrière tout en nous transportant en avant, nous faisant sentir à la fois nostalgiques et emplis d’espoir. Les vinyles montrés et mis sur la platine par PME-ART sont tangibles, concrets, on a envie de les regarder, de les manipuler, de les écouter sans fin en racontant et en écoutant des histoires, en dansant, comme  cette petite fille de quatre ans qui tournoyait, qui sautait et qui criait : « Bravo, encore, encore! ». Alors bravo, encore, encore, encore plus d’hospitalité, PME-ART!

*Chanteuse populaire libanaise

* This is your brain on music, livre de Daniel J. Levithin

Une réflexion sur “Si les vinyles m’étaient contés

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