La chorégraphe Khouloud Yassine présentait début décembre un puissant solo expérientiel à Mansion, un espace culturel et artistique installé dans une vieille maison beyrouthine. Prochaine étape pour la création intitulée « Le silence de l’abandon » : Le festival DaňsFabrik à Brest en mars, avec son programme Beyrouth les Lucioles.
Ancrée dans le sol, Khouloud Yassine est debout. Nous sommes assis autour d’elle, formant un U parfait dans une immense chambre aux plafonds très hauts. On n’entend aucun bruit. Yassine regarde intensément son voisin immédiat et lui sourit, longtemps, de manière éclatante. Elle fait la même chose avec le spectateur suivant. Et ainsi de suite. Lentement, elle tourne sur elle-même, guidée par ces échanges de regards et ces sourires, comme si son visage était son compas. Rivée au dialogue de regards entre Yassine et les spectateurs, je ne remarque pas tout de suite qu’insensiblement, son bassin a commencé à bouger, à onduler. Le mouvement du bassin parcourt son corps, entraîne un pied, une main, un autre pied, une jambe. Puis, progressivement, très doucement, Yassine recule, quitte le U, et son regard change peu à peu, son sourire diminue et disparaît.
Certains ont soutenu les yeux de Yassine, parfois le sourire est devenu un rire. Parfois, les yeux se sont remplis de larmes. D’autres se sont détournés et d’autres encore sont restés impassibles. L’espace s’est densifié, est devenu palpable. Même lorsque Yassine nous a tournés le dos, ce dos communiquait, habitait la pièce.
D’ondulation du bassin à danse baladi, il n’y a souvent qu’un pas, trop aisément franchi par le public et les critiques de danse. Si Khouloud Yassine s’intéresse beaucoup au baladi – elle fait partie de la compagnie de danse Baladi Baladi fondée par le chorégraphe Alexandre Paulikevitch – son bassin à elle est ancré plus bas que les hanches des danseurs baladi, comme dans la salsa et les danses africaines qu’affectionne la chorégraphe contemporaine.
Nommée « Le Silence de l’abandon », cette performance fait partie du programme Miniatures de la structure marseillaise Officinae. Celle-ci a invité une cinquantaine de chorégraphes du pourtour de la Méditerranée à créer des solos autour de la relation avec l’autre et de l’amour, thème pour le moins vagues. En résidence, Yassine s’est creusé la cervelle pendant plusieurs jours : « Comment parler de l’amour seule? J’ai donc décidé de faire quelque chose avec le public » raconte-t-elle. Présenté dans plusieurs contextes, entre autres au Festival Août en Danse à Marseille en 2013, le solo n’est jamais le même : « je travaille avec ce que les gens me donnent, poursuit la chorégraphe. La durée et le rythme dépendent des réactions des spectateurs ». Ce travail d’état, ces regards et ces sourires en abîmes semblent évoquer la valse-hésitation entre intimité et éloignement qui caractérisent les relations interpersonnelles, illustrant le lien humain ténu et fragile qui fascine tant la chorégraphe.Si l’interaction avec le public est toujours présente dans le travail de Khouloud Yassine, ses pièces précédentes font appel à une gestuelle plus élaborée et mettent en relief la musique, composée par Khaled Yassine : « nous voulons donner à entendre la musicalité de la gestuelle et à voir la « danséité » de la musique, souligne la chorégraphe. La pièce Entre temps 2, par exemple, est un concert/spectacle de danse ».
Entre temps 2 et le Silence de l’abandon seront présentés par le festival de danse DaňsFabrik qui aura lieu à Brest en mars 2014 et qui consacre cette année une partie de sa programmation à des chorégraphes, performeurs et musiciens arabes, entre autres libanais. Tirant son nom de l’un des ouvrages du philosophe Georges Didi-Huberman, le volet Beyrouth Les lucioles, organisé par Yalda Younes, rassemblera à Brest certains des membres d’ « une communauté du désir, une communauté de lueurs émises, de danses malgré tout, de pensées à transmettre »*. Prenez garde au scintillement des lucioles, bastions des espaces de liberté et de création.
*La survivance des lucioles, Georges Didi-Huberman, dossier de presse Beyrouth les Lucioles.