Mamy fait de la résistance

Dancing Grandmothers de Eun-Me Ahn. FTA2015.

Dancing Grandmothers de Eun-Me Ahn. FTA2015.

Eun-Me Ahn, chorégraphe en provenance de Corée du Sud, tient ses auditions au karaoké, faisant la fête avec ses futurs danseurs jusqu’au bout de la nuit. Cela se ressent dans Dancing Grandmothers, création festive et ludique qui croise les ambiances de boite de nuit surannée et de rave transgénérationnelle. La pièce a ceci de poétique qu’elle met en mouvement des femmes d’un certain âge, dans toutes leur fragilité et leur joie de danser, telles des archives incarnées d’une époque rude pour les sud-coréennes. Mais on les voit pas assez sur scène.

La création s’ouvre sur Eun-Me Ahn elle-même. En jupon rouge sur pantalon fleuri, cheveux coupés à ras – depuis 1992 dans discontinuer, pour revendiquer le droit à l’indifférenciation des genres – la chorégraphe évoque un elfe indéfinissable, primesautier et joueur. Trois petits sourires énigmatiques, et puis s’en va. Émergent neuf jeunes danseurs, trois femmes et six hommes. Vêtus de couleurs vives et dépareillées, les hommes souvent en robe fleurie, ils font de petits pas, se meuvent tels leurs collègues âgées qu’ils imitent. Peu à peu, leur gestuelle prend de l’ampleur, devient légère et sautillante. Sur fond de techno endiablée, ils font la roue, bondissent et roulent au sol. C’est frais, c’est gai. Mais c’est un peu longuet et on se demande où sont ces fameuses grand-mères.

La techno fait place au silence et les danseurs à une vidéo. Pour trouver ses grand-mères, Eun-Me Ahn a fait le tour de la Corée du Sud à vélo, rencontrant des centaines de ses compatriotes et fixant leurs mouvements sur la caméra. Fruit de ce long processus, la vidéo est touchante et poétique, donnant à voir des femmes dans leur vie quotidienne, dans les champs, dans la cuisine dans la rue, à la pharmacie, dans une boutique de vêtements… Elles s’amusent de leurs gestes, mi-espiègles, mi-gênées. Certaines séquences dépeignent des moments cocasses, des hommes qui regardent leurs compagnes bouche-bée, une vendeuse de thé installée au sol qui s’en donne à coeur joie…

Enfin, les grand-mères font leur apparition en chair et en os. Parmi elles, se trouvent un homme et la propre mère de 76 ans de la chorégraphe. L’aïeule a 95 ans. Le sourire aux lèvres, en vêtements de sortie, elles dansent des slows ou se meuvent sur place au son de chansons de leur jeunesse, souvent entraînées par la main par les jeunes interprètes survoltés qui jouent le rôle d’animateurs. Elles sont heureuses d’être là. On devine que la plupart n’ont guère fréquenté les boites de nuit, ni eu beaucoup de loisirs dans leur vie en général. On reconnaît certaines protagonistes de la vidéo, mais, ce soir, elles sont plus sûres d’elles, à l’aise dans leurs corps aux mouvements peu amples.

Corps vulnérables et usés de femmes qui ont connu la colonisation japonaise, la guerre de Corée et la scission du pays, le travail aux champs, les grossesses à répétition… Corps porteurs de mémoire, qui dévoile le vécu de la danseuse et tout un pan de l’histoire de son pays. Là réside l’originalité et l’intelligence de la création, basée sur un processus passionnant de documentation.

Mais les tableaux qui mobilisent les danseuses âgées ne sont pas légion, éclipsés par de nombreuses séquences où les jeunes interprètes se livrent à des chorégraphies athlétiques, dans un décor de plus en plus pop et psychédélique, toujours au rythme de la techno. Certes, ils sont beaux et talentueux. On aurait cependant voulu découvrir davantage les grand-mères, pourquoi pas à travers une mise en scène plus élaborée.

Dancing Grandmothers se termine avec brio par une formidable fête où le public descend sur scène et se mêle aux danseurs jeunes et âgés. Dans cette création-bonbon exubérante et tendre, affleure une danse queer, qui s’affranchit des codes du genre et de l’âgisme, néanmoins fugace et supplantée par les prouesses des danseurs professionnels. On attendait davantage de la chorégraphe sud-coréenne, précédée par sa réputation d’iconoclaste, avec sa performance dans le plus simple appareil et peinte en rouge, ses personnages hermaphrodites, sa danse avec un poulet et ses rituels chamaniques.

Josef Nadj au 104 : La mécanique rêvée des pantins

Paysage Inconnu de Josef Nadj. Photo : Séverine Charrier.

Paysage Inconnu de Josef Nadj. Photo : Séverine Charrier.

Double découverte lors d’un passage-éclair en France : Un chorégraphe, Josef Nadj et un lieu, le 104. Dans le cadre du festival Temps d’images, le premier donnait à voir une nouvelle création, Paysage Inconnu, dans le deuxième, à la fois espace de production artistique et centre communautaire situé dans le 19e arrondissement à Paris. Une pièce foraine entre la farce et le cauchemar éveillé, un théâtre d’objets de chair, où la musique fait corps avec le mouvement, dans un lieu rassembleur et vivier de création.

Paysage inconnu

Les protagonistes de Paysage Inconnu sont deux hommes en costumes noirs, la tête recouverte par des bas nylon transparents, et deux musiciens multi-instrumentistes. La scène est occupée en grande partie par des instruments de musique – gong, saxophone, diverses percussions et bien d’autres – et par un ensemble d’objets hétéroclites, entre autres trois baignoires en fer.

Josef Nadj est né dans les Balkans, plus exactement en Vojvodine, enclave hongroise de l’ex-Yougoslavie : Un territoire de champs et de steppes qui s’étendent à l’infini, plus d’une fois le théâtre des conflits des humains. D’emblée, on retrouve sur le plateau cette atmosphère de plaine semi-désertique sans relief, calcinée dans un passé pas si lointain.

Au début de la pièce, les deux hommes en costume noirs – Josef Nadj et Ivan Fatjo – sont installés sur des chaises côté cour. Ils hululent et entonnent des sortes de chants de gorge. Au son de la musique jouée par Akosh Szelevényi et Gildas Etevenard, Ils commencent à se mouvoir sur leurs sièges, effleurant le sol, s’y déployant pour revenir en position assise. Peu à peu, ils se retrouvent accroupis, font des sauts spectaculaires, rampent, tâtent le sol, se manipulent l’un l’autre. La musicalité intrinsèque de leur gestuelle est frappante. Un peu comme ils avaient leur propre rythme interne, qui parfois s’accorde parfaitement avec la trame sonore et parfois vient en contrepoint.

La première image qui vient à l’esprit est celle de pantins désarticulés. Désarticulés mais avec une fluidité étonnante, probablement apportée par la musicalité. Les personnages de Paysage Inconnu sont des pantins, des anti-héros. Ils grimacent, mais leurs traits sont atténués par leurs masques de nylon. Tour à tour, ils évoquent des larrons qui viennent de faire une bonne combine et se disputent le butin par des corps à corps ; des croquemorts qui rient jaune devant l’absurdité du monde ; des pantins-philosophes qui cherchent sans le trouver le sens de la vie ; des escrocs à la petite semaine qui jouent aux yakusas…. Leur corporéité est à mi-chemin entre le corps sans organes de Deleuze et Guattari et la marionnette de Kleist, à ceci près que celle-ci a à peine besoin d’effleurer le sol et défie la gravité grâce à ces ficelles. Les pantins nadjiens, eux, sont bel et bien terriens, bourbeux, ils appartiennent à la terre qu’ils tâtent régulièrement.

Paysage Inconnu de Josef Nadj. Photo : Séverine Charrier.

Paysage Inconnu de Josef Nadj. Photo : Séverine Charrier.

La dernière création de Josef Nadj – qui est aussi la première de ses pièces que je vois sur scène – convoque la danse, la musique, les arts visuels et le théâtre d’objets. Théâtre d’objets inanimés – entre autres, les danseurs jouet à se guillotiner divers membres et lancent des objets sur un tableau noir, comme une projection de leurs fantasmes – mais surtout théâtre d’objets géants de chair. Ainsi, les pantins-larrons-croquemorts-philosophes-yakusas sont manipulés par le chorégraphe. Celui-ci danse lui-même dans la création, créant une sorte de mise en abîme de l’état de pantin et devenant pantin de lui-même.

Féru de musique, Josef Nadj établit un dialogue organique, quasiment symbiotique, entre le mouvement et la musique. Contrairement à la plupart des pièces faisant appel à des musiciens sur scène, Akosh Szelevényi et Gildas Etevenard ne se trouvent pas en périphérie du plateau mais en investissent une grande partie. Tout donne à croire que les partitions chorégraphique et sonore auraient été écrites en même temps et dans un même lieu.

Cet univers tragico-burlesque, fangeux et fantasmagorique, semble faire écho aux écrits de Bruno Schulz, peintre, écrivain et poète polonais et juif qui figure parmi les sources d’inspiration de Nadj. Selon le metteur en scène polonais Tadeusz Kantor, qui manipulait parfois ses acteurs sur scène, Bruno Schulz serait le précurseur de la « réalité dégradée » qui a marqué la création artistique de l’Europe Centrale.

Paysage Inconnu de Josef Nadj. Photo : Séverine Charrier.

Paysage Inconnu de Josef Nadj. Photo : Séverine Charrier.

Si la merveilleuse pièce de Nadj se trouve en « paysage inconnu », elle pourrait très bien s’ancrer dans l’une des « régions de grande hérésie » de Bruno Schulz, qui composent le monde chaotique d’aujourd’hui. Fétus de paille tiraillés par leurs appartenances, les pantins humains se laissent guider à vue, comme s’ils n’avaient pas leur mot à dire dans leur destinée, malgré tout le poids de la mémoire.

Le 104

S’intéressant à tous les champs artistiques sans hiérarchie de genre, le CENTQUATRE-PARIS propose des résidences aux artistes à travers son programme de « plateformes collaboratives ». Il abrite un théâtre, une librairie très bien achalandée (essais, revues artistiques, films, littérature générale, littérature jeunesse) qui répond au nom du Merle Moqueur, un lieu d’exposition, une Maison pour les Petits qui se rapproche des Maisons Vertes de Françoise Dolto, une épicerie naturelle et écoresponsable, un café, un magasin d’objets recyclés et chinés… Il accueille des festivals et propose des activités artistiques aux amateurs. Lieu communautaire, c’est un centre de la vie du quartier. Les jeunes viennent d’ailleurs pratiquer le hip-hop dans l’immense hall.

Le Merle Moqueur. Crédit : www.104.fr

Le Merle Moqueur. Crédit : http://www.104.fr

En somme, le 104 propose un éventail de lieux, d’activités et de possibilités qui invite à adopter des modes de vie – ou, à tout le moins, quelques pratiques – alternatifs, axés sur le partage, l’échange, les apprentissages, l’ouverture à l’Autre et aux arts et un rapport harmonieux au milieu environnant.
À quand un 104 à Montréal?

Eve-Chems de Brouwer, passeuse de danse

Jody Hegel et Maurice Decelles - J'entends les murs d'Eve-Chems de Brouwer. Photo : Julie Artacho.

Jody Hegel et Maurice Decelles – J’entends les murs d’Eve-Chems de Brouwer. Photo : Julie Artacho.

Dans Jusqu’au bout du monde de Wim Wenders, Trevor McPhee parcourt les continents pour collecter des images, que sa mère aveugle pourra voir grâce à une caméra spéciale. Mais la vie n’est pas du cinéma. Et le mouvement, la danse s’appréhendent d’abord avec les yeux. Comment donner à voir la danse à des personnes non-voyantes? Peut-on danser si l’on ne voit pas? Réponses avec J’entends les murs, une pièce aboutie, juste et épidermique d’Eve-Chems de Brouwer, qui vient du monde du théâtre. La pièce était en reprise au Théâtre de la Chapelle la semaine dernière.

J’entends les murs est né d’un long processus de recherche : pendant plusieurs années, Eve-Chems de Brouwer a d’abord mené des entrevues avec des personnes aveugles, elle les a observées dans le but de connaître et comprendre leurs réalités quotidiennes, leurs histoires de vie, leur rapport au mouvement, etc. Parallèlement, elle a interviewé des personnes voyantes. Telle une anthropologue, elle était animée par de nombreuses questions, entre autres : Quel rôle joue le regard des autres dans notre vie, que l’on soit voyant ou non? Comment vit-on dans le noir ? Quelle est la place du regard dans la séduction? Qu’est-ce que c’est que le beau? Comment on tombe amoureux quand on ne voit pas ? Comment donner une image de soi quand on ne voit pas ? Née d’une mère égyptienne et d’un père belge,  installée à Montréal depuis janvier 2012, Eve-Chems de Brouwer a commencé à y explorer le mouvement avec des femmes et des hommes non-voyants, qui n’avaient jamais dansé ou performé sur scène. Souhaitant travailler sur le partage, la jeune femme avait le désir d’aboutir à une création avec un homme et une femme non-voyants ainsi qu’un ou une interprète professionnelle voyante. Finalement, la pièce qui a émergé de ce cheminement est portée par deux interprètes non-voyants –  les très attachants Maurice Decelles, batteur dans un groupe de hard-rock à la ville, et Alexandre Demange, kinésithérapeute et accordeur de piano de son état – et Jody Hegel, merveilleuse danseuse contemporaine non-aveugle, rencontrée par la chorégraphe après plusieurs essais avec des interprètes.

Emplie de drôlerie et de sensualité, la pièce commence dans l’obscurité. On entend des cliquetis, qui s’avéreront être ceux de la chaîne de Yoda, le chien d’Alexandre Demange. Des tranches de vie et de dialogues se succèdent, au sein desquels Eve-Chems de Brouwer a fait appel à des procédés très simples pour transmettre au public les sensations, les gestes, les subterfuges pour contourner un monde essentiellement visuel, l’importance des autres sens, qui composent le quotidien d’une personne non-voyante. Maurice Decelles et Alexandre Demange dansent, convoquant un langage corporel propre à chacun d’eux, qu’ils se sont construits à travers les pistes proposées par Eve-Chems de Brouwer pour la mise en mouvement et les sensations physiques que celles-ci font émerger. Autre moment marquant, Demange entonne une chanson d’Elvis Presley et sa voix profonde densifie l’espace.

Jody Hegel et Maurice Decelles - J'entends les murs d'Eve-Chems de Brouwer. Photo : Julie Artacho.

Jody Hegel et Maurice Decelles – J’entends les murs d’Eve-Chems de Brouwer. Photo : Julie Artacho.

En particulier, j’entends les murs donne à voir deux duos tendres et troublants de Jody Hegel avec chacun des interprètes. Maurice Decelles se tient derrière la danseuse, qui annonce les mouvements qu’elle va faire, permettant à Decelles de la suivre par le toucher : right shoulder scoop down, right elbow left out, swing, close, open, side bend, right knee bent, swivel in, ostrich [des mots de la vie de tous les jours, très imagés]…. Hegel interprétera ensuite une autre partition chorégraphique avec Alexandre Demange, mais sans consignes cette fois-ci. Tout se passe comme si Demange et Hegel n’avaient besoin pour se parler, ni des mots, ni des yeux. On se surprend alors à imaginer, à espérer, un lieu rempli de couples de voyants/non-voyants qui dansent, qui communiquent à travers ces « gestes [qui sont] l’agent direct du cœur ».*

Car lorsqu’il plaît à une femme, nous raconte Alexandre Demange pendant la pièce, les gestes de celle-ci deviennent plus doux, plus gracieux, sans aspérités. Les intonations de sa voix et son rire changent. Et quand il la regarde dans les yeux qu’il ne peut voir, une chaleur envahit le corps de Demange. Mais « le toucher, c’est rendu compliqué », explique Maurice Decelles, alors que « ses mains, ce sont ses yeux ».

On devine tous que la vie d’une personne non-voyante – ou de toute personne privée d’un de ses sens – doit être profondément différente de la nôtre, comporter bien des contraintes et nécessiter bien des adaptations. Mais on est loin de saisir la portée de ces différences. L’été dernier, j’ai pu assister à l’une des répétitions de J’entends les murs, pendant laquelle j’ai réalisé que la consigne « va plus lentement » ou « va plus vite » est avant tout visuelle. Si l’on ne voit pas, on ne peut pas comprendre le sens de cette consigne. Dans son Journal de répétition paru dans Jeu, Eve-Chems de Brouwer raconte la complexité du travail du mouvement : « C’est un défi pour moi d’expliquer sans pouvoir montrer, seulement en les touchant ou en leur faisant toucher mon corps. On pourrait le refaire mille fois, ils sont de plus en plus précis mais, ultimement, ils le feront toujours à leur manière, ne pouvant pas m’imiter ! »

Maurice Decelles et Jody Hegel  - J'entends les murs d'Eve-Chems de Brouwer. Photo : Julie Artacho.

Maurice Decelles et Jody Hegel – J’entends les murs d’Eve-Chems de Brouwer. Photo : Julie Artacho.

La longue genèse de J’entends les murs, qui s’apparente davantage à un processus de recherche et d’expérimentation qu’à une résidence de création à l’objectif annoncé, a certainement contribué à la finesse et à l’humanité de l’œuvre. Très touchante, hybride, celle-ci navigue avec bonheur entre réalité et représentation. Elle aurait gagné à avoir une création sonore confectionnée sur mesure par un compositeur. Par ailleurs, J’entends les murs ne reflète pas l’ampleur du travail documentaire réalisé par Eve-Chems de Brouwer et on rêve d’une suite, ou d’un livre audiovisuel qui retrace le processus de recherche et de création.

Mais Eve-Chems de Brouwer prépare déjà sa prochaine création, en collaboration avec un médecin neurologue. Vous n’en saurez pas plus pour l’instant. Mais gageons que cette jeune femme au prénom évocateur (Chems signifie soleil en arabe) qui aime observer la gestuelle de la tendresse dans les aéroports, qui a incarné un Freddy Mercury attendant un enfant au dernier Short & Sweet et joué dans Trois de Mani Soleymanlou, continuera à faire parler d’elle.

*François Delsarte, théoricien et pédagogue du mouvement du 19ème siècle dont les idées ont imprégné de manière posthume la danse contemporaine.

 

 

 

Festival Vue sur la relève : En attendant Dans son salon

Parce qu'on sait jamais, Dans son salon. Photo : Adrienne Surprenant.

Parce qu’on sait jamais, Dans son salon. Photo : Adrienne Surprenant.

Dans son salon, le duo chorégraphique d’anti-héroïnes tragicomiques, donne à voir Parce qu’on sait jamais, une pièce aboutie et désopilante. Mercredi 9 avril au GESU à 20H.

Choisir la vie. Choisir une job. Choisir une carrière épanouissante. Choisir un chum, une blonde, une famille. Choisir son ostie de téléphone intelligent. Choisir son genre de yoga. Choisir une laveuse, un vélo. Choisir son fermier de famille. Choisir la santé et un faible taux de cholestérol. Choisir son coussin de méditation et sa poussette-spécial-parent-en-forme. Choisir son REER. Choisir son condo. Choisir ses amis. Choisir sa farine sans gluten et ses graines de chia. Choisir son cours de pilates. Choisir des livres non genrés pour ses enfants. Choisir son canapé vintage. Choisir de s’affaler dessus en se demandant quoi voir sur Netflix l’ONF. Choisir son avenir, choisir la vie*.

Toute ressemblance avec le discours d’entrée d’un certain film anglais* n’est absolument pas une coïncidence. Sauf que je l’ai mis à une autre sauce, celle des gens qu’on devrait être, performants, épanouis, bien dans leurs baskets, zen, beaux, sportifs et sveltes, parents parfaits et accomplis si enfants il y a, filant sur leurs vélos à leur cours de yoga faire la tortue intrépide et l’étoile de mer affalée après avoir cuisiné des repas locaux, bios et éthiques, tout ça avec le sourire s’il vous plaît (le sourire dentifrice sans gluten!). Ça vaut pour les XX et les XY (et autres), avec, me semble-t-il, plus de pression pour les femmes et à plus forte raison les mères.

Parce qu'on sait jamais, Dans son salon. Photo : Adrienne Surprenant.

Parce qu’on sait jamais, Dans son salon. Photo : Adrienne Surprenant.

Toutes ces pressions et ces contradictions sont au cœur de Parce qu’on sait jamais du duo Dans son salon, présentée dans le cadre du festival Vue sur la relève le 9 avril. Dans cette pièce pétrie d’humour et d’inventivité créée lors du OFFTA 2013, Karenne Gravel et Emmalie Ruest sont des gourous, nous montrant la voie vers le bien-être et la félicité : «Parce qu’on sait jamais est une création sur deux idées, d’abord le mantra selon lequel doit être « prêtes à tout parce qu’on sait jamais » et ensuite l’idée de la marchandisation du bien-être, explique Emmalie Ruest. On a remarqué qu’on doit tous être prêts à tout, efficaces, alertes, tout en étant zen et épanouis.». Métissant avec bonheur la théâtralité, les codes de la danse contemporaine et le yoga, l’écriture chorégraphique de la pièce puise également dans les pratiques orientales telles que le danse indienne et dans la culture populaire, dont Ruest et Gravel sont imprégnées. Les deux chorégraphes-interprètes, qui ont fondé leur compagnie en février 2013, collaborent d’ailleurs avec Misteur Valaire et avaient concocté une mini-création sur une chanson de George Michael lors d’un Short & Sweet. Depuis la première de Parce qu’on sait jamais au OFFTA, « on a affiné et clarifié la structure de la pièce, poursuit Ruest. On a aussi modifié quelques éléments pour avoir plus de cohérence». Ruest et Gravel y font appel à des objets divers et hétéroclites : draps-contour, déodorants, combinaisons de gymnastes pailletées, poussettes cardio, robes de débutantes, bouilloire de thé, pétales de rose, etc. À chaque nouvelle étape de « transcendance » franchie, elles reçoivent une récompense, dénonçant de manière truculente l’antinomie entre bien-être et performance.

Parce qu'on sait jamais, de Dans son salon. Photo : Guillaume Briand.

Parce qu’on sait jamais, de Dans son salon. Photo : Guillaume Briand.

Parce qu'on sait jamais, Dans son salon. Photo : Adrienne Surprenant.

Parce qu’on sait jamais, Dans son salon. Photo : Adrienne Surprenant.

Les deux acolytes de Dans son salon ont réussi à créer un univers bien à elles, dont les protagonistes sont des anti-héroïnes cocasses tout droit sorties de chez Beckett. Comme chez le dramaturge, pessimisme, absurdité, volonté de survie et dérision se nourrissent les uns des autres dans l’imaginaire danssonsalonien. Dans leur création Fin de party, qui porte d’ailleurs un titre très proche de l’une des pièces de Beckett, Gravel et Ruest incarnaient les deux seules survivantes à la fin des temps qui tentaient, dans un monde apocalyptique et vide, de rendre le quotidien significatif en faisant la fête. Sans succès car leurs personnages sont des fétus de paille face au destin, des pions, comme dans le jeu d’échecs tant prisé par Beckett. Mais si le monde de Dans son salon est lucide et sans illusions, il est aussi festif et joyeux. On rit aux éclats tout au long de Parce qu’on sait jamais, qui aborde des questions socialement vives avec drôlerie et poésie, par le prisme d’une gestuelle originale et remarquablement interprétée.

« Vous êtes sur terre, c’est sans remède ! » s’écrit Hamm, le protagoniste principal de la pièce Fin de partie de Beckett. Alors autant en rire et continuer. Parce qu’on sait jamais, une pièce tout indiquée en ces lendemains d’élections.

*Inspiré de Trainspotting

D’autres articles sur Dans son salon :

http://dancefromthemat.com/2013/05/24/offta-jeunes-pousses/

http://mamereetaithipster.com/2013/06/09/offta-2013-chronique-dun-des-enchantement-annonce/

Quand Julie Artacho réalise les fantasmes visuels d’une chorégraphe

La photographie Julie Artacho. ©Julie Artacho

La photographie Julie Artacho. ©Julie Artacho

« Fais-moi ta face de yogourt jazz fruits dans le fond ». « Fais-moi ta face de sommelier qui veut cruiser un producteur de vin ». « Fais-moi ta face de fille qui fait du trekking et qui se fait des lunchs ». C’est le type de consigne que vous donnera Julie Artacho si elle fait votre portrait. Photographe œuvrant dans le milieu du théâtre, de la musique et de la danse, elle est partie prenante du processus de création du double programme Fixer la chair présenté par Tangente.

Carnaval d'Amélie Rajotte avec Nicolas Labelle, Nicolas Patry, Jessica Serli, Ashlea Watkin.  Photo : Ashlea Watkin par Julie Artacho.

Carnaval d’Amélie Rajotte avec Nicolas Labelle, Nicolas Patry, Jessica Serli, Ashlea Watkin. Photo : Ashlea Watkin par Julie Artacho.

Quand Julie Artacho ne fait pas de portraits, elle capte le mouvement des danseurs sur sa pellicule. À l’occasion du double programme Fixer la chair, elle est passée de l’autre côté de l’objectif en devenant collaboratrice visuelle des chorégraphes Caroline Laurin-Beaucage et d’Amélie Rajotte : « Mon rôle était de documenter et d’inspirer le processus de création des pièces Entaille et Carnaval» explique la photographe. Une exposition au Monument National retrace d’ailleurs ce processus, vu à travers la caméra de Julie Artacho.

Entailles de Caroline Laurin-Beaucage avec Rachel Harris et Esther Rousseau-Morin. Photo : Rachel Harris par Julie Artacho

Entailles de Caroline Laurin-Beaucage avec Rachel Harris et Esther Rousseau-Morin. Photo : Rachel Harris par Julie Artacho

Entailles est née d’une réflexion sur la chair et l’âme, « sur ce qui fait que ces deux éléments sont tellement scindés, raconte Caroline Laurin-Beaucage. Cette réflexion m’est venue il y a quelques années, lorsqu’on a failli m’opérer pour un saignement au cerveau. J’avais l’impression que toucher à une partie de mon corps, à mon enveloppe physique, allait affecter qui je suis fondamentalement». Pour cette création, la collaboration a pris la forme d’un dialogue constant entre la chorégraphe et la photographe : « J’avais envie de travailler avec le regard d’une photographe comme moteur à la création, avant même d’aller en répétition, poursuit Caroline Laurin-Beaucage. On a fait trois séances photo avec les interprètes, Rachel Harris et Esther Rousseau-Morin, que je guidais pendant que Julie les photographiait. J’ai pu explorer toutes les images que j’avais en tête, les ruptures du corps, des plans très rapprochés de celui-ci, le corps habillé et déshabillé… L’idée était de voir tout ce que je ne peux pas voir dans un studio de danse ». Ensuite, Caroline Laurin-Beaucage a sélectionné les images dont elle voulait s’inspirer pour créer la gestuelle pendant les répétitions. Ainsi, l’écriture chorégraphique d’Entailles est innervée par les clichés de Julie Artacho : « C’était surréaliste et vraiment intéressant de voir mes photos recréées à nouveau», souligne la photographe.

La première phase de la création d’Entailles a également permis de faire la recherche esthétique et de monter la scénographie : « L’autre avantage de travailler avec Julie était que je voulais d’abord voir le corps avec des objets, puis me départir de ces objets, insiste Caroline Laurin-Beaucage. J’ai pu réaliser des fantasmes visuels que j’avais, de manière à ce qu’ils nous imprègnent à tous pendant les étapes suivantes de la création. Les photos m’ont aussi permis de savoir ce que je voulais garder comme objets dans la scénographie, elles ont dicté toute l’esthétique visuelle et tout le ton de la pièce ». Ainsi, la chorégraphe a découvert que cette manière de travailler rendait le processus de création très organique, en permettant de faire des choix d’entrée de jeu : « On n’est pas dans un studio de danse à regarder des mouvements abstraits pendant des mois puis à se demander ce que vont porter les danseurs. Tout se fait en même temps. Tout ce qui est sur scène fait partie de l’environnement depuis longtemps ».

Carnaval d'Amélie Rajotte avec Nicolas Labelle, Nicolas Patry, Jessica Serli, Ashlea Watkin.  Photo : Ashlea Watkin par Julie Artacho.

Carnaval d’Amélie Rajotte avec Nicolas Labelle, Nicolas Patry, Jessica Serli, Ashlea Watkin. Photo : Ashlea Watkin par Julie Artacho.

Pour Carnaval, création expressionniste d’Amélie Rajotte sur le lever du masque social, la contribution de Julie Artacho, moins itérative, a également permis à la chorégraphe de faire des expérimentations visuelles qui ne sont pas toujours possibles en répétition : «Nous avons fait deux séances photos en début et en milieu de processus, dit Amélie Rajotte. Julie et moi avions demandé aux interprètes Nicolas Labelle, Nicolas Patry, Jessica Serli et Ashlea Watkin d’apporter des costumes et des accessoires. Nous avons beaucoup discuté de l’esthétique et du ton de la pièce. Elle écoutait ma vision et me proposait des choses. De ces deux séances, j’ai gardé certains accessoires, mais la pièce est beaucoup plus sombre que sur les photos »

Entailles de Caroline Laurin-Beaucage avec Rachel Harris et Esther Rousseau-Morin. Photo :Rachel Harris par Julie Artacho

Entailles de Caroline Laurin-Beaucage avec Rachel Harris et Esther Rousseau-Morin. Photo :Rachel Harris par Julie Artacho

Par la force des choses, chorégraphes et photographes n’ont pas la même approche du mouvement. De plus, les créatrices de Fixer la chair sont loin de se cantonner aux sentiers balisés par leurs domaines artistiques. Caroline Laurin-Beaucage explique avoir travaillé dans Entailles « la sensation de l’image plutôt que la reproduction de l’image. Je n’ai montré aucun mouvement aux interprètes. Pour créer la gestuelle, j’ai donné des consignes anatomiques : extension du sternum, glissement du coccyx, lancement des pieds, etc. Puis, j’ai proposé aux interprètes divers états, leur demandant par exemple de faire telles phrases en imaginant que tout l’intérieur de leur corps est rempli ou qu’elles sont invisibles. Julie aime ça essayer des affaires, elle ose et son énergie est contagieuse!».

Venant du monde du théâtre, Julie Artacho est une photographe dont les images étrangement animées racontent des histoires : « J’aime beaucoup activer l’imaginaire de mes modèles et faire de la mise en scène dans mes photos». Puisant ses idées dans la musique, la jeune femme concocte une bande-son pour chacune de ses séances photo : « Pour mon projet Jeux, des portraits d’acteurs, de chanteurs et de danseurs en noir et blanc, je leur donne des intentions de départ, je mets la musique et laisse aller les gens cinq minutes sans les diriger. Comme les photos sont prises dans le mouvement, les gens oublient qu’ils posent. C’est comme un petit vidéoclip que je fais dans l’image ».

Bouge d’ici : Micro ouvert pour la danse

karenBouge d’ici, le festival de la relève en danse à Montréal, sera l’occasion pour la chorégraphe Karen Fennell de lancer So You Think That Was Dance? un espace d’expérimentation mensuel où des artistes émergents ou aguerris pourront présenter leur travail en moins de dix minutes.

Clin d’œil espiègle à l’émission télévisée Do You Think You Can Dance, l’événement mis sur pied par la chorégraphe-interprète Karen Fennel n’a rien d’une compétition entre des danseurs formatés : « C’est une soirée « micro ouvert » pour la danse, une plateforme où des artistes pourront présenter des chantiers en cours, des extraits de pièces existantes ou toute création qu’ils voudraient tester devant un public en moins de dix minutes » explique Karen Fennell, organisatrice et animatrice de l’événement. D’une durée approximative de 75 minutes, chaque édition devrait compter six à huit pièces et être suivie par une rencontre informelle dans l’espace commun du Mainline Theater où public et artistes pourront prendre un verre.

Le concept de So You Think That Was Dance? pourrait rappeler celui des soirées montréalaises Short & Sweet, où les nombreux participants disposent de trois minutes pour se produire sur scène. Mais la différence est que ce sera un événement plus court, où on pourra s’immerger dans l’univers de quelques jeunes chorégraphes et socialiser : «l’accent n’est pas mis sur la création d’une pièce exclusive pour l’événement ou sur la limite de temps. Il s’agit surtout de rassembler la communauté montréalaise des performeurs pour échanger à propos de notre travail de création et de nos questionnements dans une atmosphère détendue, poursuit Fennell. Et s’il y a aussi échange entre les danseurs et les spectateurs, c’est fantastique ». En outre, il n’y a pas de processus de sélection des chorégraphes: « C’est premier arrivé, premier servi » explique Fennell. Ainsi, So You Think That Was Dance? constitue un espace d’expérimentation et de rencontre, fournissant des possibilités d’interaction et de discussion au sein des artistes et entre le public et eux.

L’événement-pilote consistera en huit performances, celles de Karen Fennell et Jackie Gallant, Michael Watts, Emma-Kate Guimond, Lucy M. May & Patrick Conan, Shannon Leibgott, Nate Yaffe, Emilie Legs et Helen Simard. Portant un regard de chorégraphe sur les concerts live et s’intéressant aux gestes dérivés des musiciens sur scène, Helen Simard avait marqué les esprits lors du dernier Piss the Pool, avec sa mise en mouvement d’une chanson jouée par le groupe montréalais Dead Messenger qui s’était transformée en expérience collective, festive et touchante. Interprète chez Dave St-Pierre, Sidi Larbi Sherkaoui et la compagnie batave T.R.A.S.H, Michael Watts compte notamment à son actif une création solo intitulée « What about me?!? » sur les pérégrinations existentielles d’un clown, marquée par la grande physicalité du danseur. Celui-ci avait également créé une pièce truculente avec des danseurs libanais et palestiniens lors d’un atelier à Beyrouth. D’une gestuelle flying-low exigeante et athlétique, cette création empruntait à la danse-théâtre et se basait sur une lecture humoristique et assez fine des réalités locales.

So You Think That Was Dance? promet donc d’être un événement ludique et éclectique, idéal pour se familiariser avec la danse contemporaine, découvrir de nouveaux artistes et, pourquoi pas, parler danse.

Caroline Tabet : De corps et de rencontres

“Dialogues” 3-02 Caroline Tabet et Khouloud Yassine à la Grande Brasserie du Levant. 2010-2013 12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

“Dialogues” 3-02 Caroline Tabet et Khouloud Yassine à la Grande Brasserie du Levant. 2010-2013
12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

Dans son projet Dialogues, la photographe Caroline Tabet décortique l’interaction de trois danseurs avec des lieux désaffectés de Beyrouth. Rencontre avec une « metteure en espace » qui donne corps à la rencontre, à l’occasion d’une exposition lumineuse et mélancolique qui retrace 13 ans de son travail à la galerie Art Factum.

Of Places and Dust, Art Factum, Qarantina, Liban, jusqu’au mardi 30 juillet inclus

« J’avais envie de travailler sur l’interaction d’un danseur et d’un lieu, raconte la photographe Caroline Tabet. Les danseurs ont une intuition et une lecture de l’espace particulières, propres à chacun d’entre eux».

“Dialogues” 2- 01. Caroline Tabet et Alexandre Paulikevitch à l'Imprimerie Catholique . 2010-2013 12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

“Dialogues” 2- 01. Caroline Tabet et Alexandre Paulikevitch à l’Imprimerie Catholique . 2010-2013
12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

Les photographies de Caroline Tabet découlent toujours de rencontres, qu’elles soient ponctuelles ou qu’elles s’inscrivent dans la durée. Pour sa collaboration avec les danseurs, elle a fait appel à des personnes avec qui elle a des affinités et dont l’approche du mouvement l’interpelle. Le projet a pris forme progressivement : « Je n’ai appelé cette série Dialogues qu’au bout d’un certain temps, en réalisant que c’est un dialogue à trois : entre le danseur et l’espace, entre le danseur et moi, entre l’espace et moi. Souvent dans mon travail, les choses ne se dessinent que lorsque je les mets bout à bout, une fois le processus bien amorcé».

“Dialogues” 2-01. Caroline Tabet et Zeina Hanna à l'Hôtel Tabarja. 2010-2013 12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

“Dialogues” 2-01. Caroline Tabet et Zeina Hanna à l’Hôtel Tabarja. 2010-2013
12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

La photographe s’est toujours intéressée aux lieux laissés à l’abandon. Née à Beyrouth, Caroline Tabet a grandi en France. Revenue au Liban pour s’y installer quelques temps après la fin de la guerre civile, la photographe s’est approprié la ville en la sillonnant de part et d’autre : « J’ai redécouvert Beyrouth qui était alors assez vide et désolée et certains lieux m’ont intriguée. Je les ai photographiés dans leur état, pas à pas. Ces images sont comme une mémoire de ces lieux». Ceci a donné lieu à la série Beirut Lost Spaces, exposée à Art Factum. Les lieux qui y sont dépeints sont en passe d’être détruits ou transformés.

“Dialogues” 3-07 Caroline Tabet et Khouloud Yassine à la Grande Brasserie du Levant. 2010-2013 12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

“Dialogues” 3-07 Caroline Tabet et Khouloud Yassine à la Grande Brasserie du Levant. 2010-2013
12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

Caroline Tabet est parmi l’une des rares photographes qui utilisent encore l’argentique. Elle affectionne les manipulations que cela permet, le caractère artisanal, le velouté du flou, le grain et la profondeur, particulièrement intéressante pour capturer le mouvement.

Land Series. Caroline Tabet. Art Factum.

Land Series. Caroline Tabet. Art Factum.

Pour la série Dialogues, l’idée initiale de Tabet était d’investir des hôtels abandonnés, « ces lieux de passage où il y a eu beaucoup de vie, explique-t-elle. J’étais à la recherche d’espaces « neutres », qui ne soient pas des habitations ou des salles de théâtre et qui ne fassent pas partie de l’espace public. » Avec sa première collaboratrice, la danseuse contemporaine et chorégraphe Zeina Hanna, Tabet a exploré l’Hôtel de Tabarja, resté inachevé en raison de la guerre et détruit depuis le projet. Cette grande structure en béton comportait de nombreux étages identiques qui donnaient sur la mer et sur la montagne.

“Dialogues” 1 - 05. Caroline Tabet et Zeina Hanna à l'Hôtel Tabarja. 2010-2013 12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

“Dialogues” 1 – 05. Caroline Tabet et Zeina Hanna à l’Hôtel Tabarja. 2010-2013
12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

Le deuxième volet des Dialogues a été réalisé avec le danseur et chorégraphe de danse baladi Alexandre Paulikevitch dans l’Imprimerie Catholique de Beyrouth. Quant au dernier volet, il s’est inscrit au sein de la Grande Brasserie du Levant, revisité par la chorégraphe-interprète de danse contemporaine Khouloud Yassine. Celle-ci souhaitait que la ville environnante soit ressentie à certains moments, afin que les images soient cohérentes avec sa propre expérience de Beyrouth. La capitale libanaise peut être oppressante de par son urbanisme sauvage, le regard constant des gens et les invectives de certains hommes.

Dialogues, Caroline Tabet. Art Factum.

Dialogues, Caroline Tabet. Art Factum.

Au début de chaque séance de travail avec ses collaborateurs-danseurs, Caroline Tabet installait sa caméra et suivait le travail de l’interprète, qui ne savait pas quand il était pris en photo. Celui-ci faisait d’abord un repérage sensoriel et visuel du lieu puis commençait à se mouvoir à son rythme. « Les danseurs étaient pieds nus dans un espace brut, avec des bouts de verre et de fer, des rocailles, des choses pas très accueillantes, souligne Tabet. Sans musique, dans un espace étranger, ça prend du temps d’apprivoiser un lieu. Il nous arrivait aussi d’attendre le mouvement de la lumière, en particulier dans l’Imprimerie où il y a plusieurs niveaux».

Exposition Of Places and Dust. Caroline Tabet. Art Factum.

Exposition Of Places and Dust. Caroline Tabet. Art Factum.

Chaque collaborateur-danseur appréhende l’espace à sa manière. Enracinée, terrienne, Khouloud Yassine est dans une économie de gestes. Rappelant ce « point mort » recherché par la jeune femme qui chorégraphie le moindre regard et tressaillement de visage dans ses pièces, sa gestuelle dans les photos est minimaliste tout en étant intense, comme si elle dépensait une grande énergie pour rester sur place. Elle s’arc-boute, ouvre son sternum au ciel, défie la ville. Tout en courbes et déhanchés, Alexandre Paulikevitch qui déconstruit le baladi pour mieux exulter dans ses créations, s’enroule autour des poteaux de l’Imprimerie, lâche prise, se fond dans les murs et les fenêtres par des mouvements sinueux, se suspend par le bassin et les jambes, se dépose tout simplement sur les marches d’un escalier. Quant à la longiligne et arachnéenne Zeina Hanna, elle s’étend sur toutes les dimensions de l’espace, elle s’élève, elle rampe horizontalement et verticalement, elle habite l’espace, y compris le sol. Tentaculaire, elle semble même visiter une facette qu’on ne peut voir et s’effacer partiellement par moments.

“Dialogues” 2- 02. Caroline Tabet et Alexandre Paulikevitch à l'Imprimerie Catholique . 2010-2013 12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

“Dialogues” 2- 02. Caroline Tabet et Alexandre Paulikevitch à l’Imprimerie Catholique . 2010-2013
12 images, edition 4 + 1AP, 40x40cm and 40x60cm, Gelatin Silver Print on ILford semi glossy paper + 3 groups of 12 to 13 images printed on Mettalic paper, 20 x 180

La série des Dialogues a ceci de particulier qu’elle donne à voir et à ressentir la gestuelle dansée différemment de l’acceptation traditionnelle de la « danse ». Les mouvements des chorégraphes-interprètes relèvent de gestes quotidiens, de gestes d’interaction avec des éléments. Ils ne font pas semblant de toucher, de se fondre, d’escalader ; ils touchent, se fondent, escaladent réellement. La capture sur pellicule de leur rencontre avec le lieu s’est faite de manière organique. En effet, la photographe se faisait oublier : « les photos ne montrent pas de longues poses où on laisse voir le mouvement, poursuit Tabet. Le mouvement est déterminé davantage par la succession des images que par la photo elle-même ». Enfin les lieux explorés sont souvent inconnus du public libanais, qui n’a jamais vu leur intérieur et parfois ne connaît même pas leur existence. Caroline Tabet a proposé deux manières de découverte de ces espaces : d’un côté, un ensemble de quelques images en grand des trois chorégraphes-interprètes et de l’autre, toutes les photos en petit format de chacun d’entre eux se faisant suite. Plus cinématographique, ce deuxième mode d’exposition semble raconter une histoire lisible dans les deux sens et permet de voir autrement les mouvements des danseurs et les lieux.

Nudes in Cold 2. Caroline Tabet.

Nudes in Cold 2. Caroline Tabet.

Suspension des corps dansants dans des lieux rêvés qui semblent appartenir à une dimension spatiotemporelle parallèle… Tout cela contribue à créer une expérience poétique et nostalgique, nostalgique de ces lieux si proches et pourtant inaccessibles.

“Recueil” 5. Caroline Tabet. 2012-2013 7 images, edition of 2 + 1AP, 40x50cm, inside image 36x36cm, Gelatin Silver Print on ILford 5K mat paper

“Recueil” 5. Caroline Tabet. 2012-2013
7 images, edition of 2 + 1AP, 40x50cm, inside image 36x36cm, Gelatin Silver Print on ILford 5K mat paper

Et si la photographe n’a pas collaboré avec des danseurs dans ses autres projets, l’essence du corps humain innerve tout son travail : corps qui se dévoilent avec générosité dans la série Nudes in Cold ; corps absents dans la série Beirut Lost Spaces ; corps en mouvance dans la série Passages ; corps picturaux ou qui se devinent dans la série The Land series, corps évanescents et, ou gémellaires dans la série Recueil… À mi-chemin entre le daguerréotype expérimental et la peinture, cette dernière série en noir et blanc a été travaillée au spray, à l’encre de chine, à la gomme arabique et à l’éponge : « je cherchais à créer un paysage mental, une porte ouverte à l’imaginaire, où chacun peut imaginer ce qu’il veut », précise la photographe. Quant à la série Land Series, il s’agit d’un travail sur la matière exploitant les accrocs de développement des polaroids. Tabet a agrandi des portraits et des paysages, mettant ainsi en relief des irrégularités et des imperfections émergeant lors du traitement des films de la société The Impossible Project.

Land Series 2. Caroline Tabet.

Land Series 2. Caroline Tabet.

L’ensemble du travail de Tabet évoque l’impermanence et le caractère éphémère des choses. La jeune femme met en images la nostalgie, « la souffrance causée par le désir inassouvi de retourner » selon Kundera*. Désir inassouvi de retrouver des personnes et des lieux, qu’on les ait connus tangiblement ou qu’on nous en ait transmis le souvenir. Désir de se saisir du temps qui passe. Désir d’effacer les marques de la guerre et de la folie ordinaire des humains. Désir de dévoiler ce qui est caché, de faire ressortir l’apaisement, de mettre l’accent sur le beau en tirant parti des défauts. Car la nostalgie de Caroline Tabet est limpide et féconde : « Les photos de la série Passages me semblent parfois comme des sas de transition pour aller quelque part d’autre ».

Passages 3. Caroline Tabet.

Passages 3. Caroline Tabet.

*Milan KUNDERA, L’ignorance, Folio, 2003, pp. 9-11

Piss in the pool 9 : Corps mouvants en contreplongée

Piss in the Pool 7, 2011. Performance de Sasha Kleinplatz, extrait de Chorus 2. Photo :  Celia Spenark Ko.

Piss in the Pool 7, 2011. Performance de Sasha Kleinplatz, extrait de Chorus 2. Photo : Celia Spenark Ko.

Piss in the Pool réinvestit le Bain St-Michel, après avoir été délocalisé au Bain Mathieu l’an dernier. Invités par Sasha Kleinplatz et Andrew Tay de Wants&Needs Dance, 7 chorégraphes et une artiste contorsionniste ont un mois pour créer chacun une courte pièce in situ. Ce sera une récidive pour certains ou une première expérience pour d’autres. Geneviève Ferron, Benjamin Kamino, Andréane Leclerc et Helen Simard racontent leur appropriation du lieu.

Si la façade du Bain St-Michel évoque un théâtre avec son architecture Beaux-Arts, ses amples arches et son œil-de-bœuf côté sud, son espace interne est moins policé et plus dépaysant pour les artistes de la scène. Non contents d’abriter une longue histoire de loisirs, les murs de l’ancien Bain Turcot, propriété de la ville de Montréal attribuée gratuitement aux artistes, ont été témoins depuis 1998 de nombreuses manifestations de la relève montréalaise. Entre autres, l’édifice accueille en ce moment les préparatifs de l’imminent Piss in the Pool.

Geneviève Ferron : la condition humaine

Piss the Pool 9. Pièce de Geneviève Ferron en répétition. Photo : Geneviève Ferron.

Piss the Pool 9. Pièce de Geneviève Ferron en répétition. Photo : Geneviève Ferron.

Le Bain Saint-Michel a ce caractère brut propre aux lieux laissés à l’abandon : « c’est un espace vraiment particulier, explique la chorégraphe Geneviève Ferron. Il y a quelque chose de très glauque, d’impressionnant quand il n’y a pas de décors ou d’éclairage». Après deux répétitions, Ferron a décidé d’aller à l’encontre de l’espace : « j’avais besoin de sortir de mes zones de confort, de déjouer mes codes». Alors que les traversées qu’affectionne la chorégraphe auraient pu facilement s’inscrire dans l’espace rectangulaire du Bain St-Michel, ses 20 interprètes ne sillonneront pas le lieu. De la même manière, Ferron délaisse la nudité et les couleurs ternes de Tout est dit, il ne reste rien, sa création présentée à Tangente au mois de décembre dernier. Elle qui remet en question l’hétéronormativité souvent dépeinte en danse et qui « veut trouver une esthétique éthique », troque les stéréotypes féminins pour des corps plus ambigus au Bain St-Michel.

Piss in the Pool 9. Performance de Geneviève Ferron en répétition. Photo : Geneviève Ferron.

Piss in the Pool 9. Performance de Geneviève Ferron en répétition. Photo : Geneviève Ferron.

Pour son premier Piss in the Pool, la chorégraphe Geneviève Ferron actualise Stella, la pièce de Jean-Pierre Perreault présentée au FIND en 1985. Créée avec 24 danseuses, celle-ci évoquait la destinée collective de l’humanité, comme l’avait fait Perreault dans Joe avec des hommes en 1983. En reprenant Stella, Ferron règle ses comptes avec les critiques acerbes qu’avait reçues l’original : « Je fais une interprétation très libre d’une pièce que je n’ai jamais vue. Ce n’est pas un hommage, c’est une critique de la critique. Les interprètes seront des hommes et des femmes habillés comme dans Stella : cheveux longs, robes et talons hauts. On ne saura pas si ce sont des hommes ou des femmes ». Très intéressée par l’idée de corps sans organes* comme nouvelle éthique féministe en danse contemporaine, Geneviève Ferron donnera à voir la condition humaine interprétée par des corps androgynes et chevelus en robes, sans visages.

Andréane Leclerc : Montrer cette contorsion que nous ne saurions voir

Andreane Leclerc. Photo : Karlos Oliva

Andreane Leclerc. Photo : Karlos Oliva

La notion d’un corps sans organes interpelle également Andréane Leclerc, contorsionniste transfuge du monde du cirque traditionnel, vue récemment dans une performance sensible et troublante à Short & Sweet 11 et en 2011 à Tangente. Amoureuse du nomadisme, Leclerc souhaitait aller plus loin que la prouesse circassienne : « Je lui trouvais une grande beauté, mais le manque de significations et de recherche me posaient problème, dit-elle. J’avais envie de laisser parler autre chose à travers moi, de déterritorialiser la contorsion dans d’autres contextes pour qu’elle ne soit plus un but en soi». Désireuse de déconstruire les clichés liés à sa pratique et d’éveiller l’imaginaire du public afin qu’il aille au-delà du spectaculaire, Andréane Leclerc a commencé à explorer la scène montréalaise burlesque et féministe il y a quelques années, tout en réalisant une maîtrise de théâtre sur la dramaturgie de la prouesse : « Je me suis beaucoup intéressée à la manipulation du corps par la contorsion pour créer des sensations chez le spectateur. Aujourd’hui, par exemple pour Piss in the Pool, je travaille davantage sur le rapport des contorsionnistes à l’espace et sur leurs sensations à elles. On voit beaucoup plus la contorsion, que je voulais cacher avant».

La participation d’Andréane Leclerc à Piss in the Pool constitue sa première chorégraphie pour des interprètes autres qu’elle. Elle a fait appel à trois artistes de cirque, une autodidacte et deux finissantes de l’École nationale du cirque qui font du cerceau aérien, à qui elle a donné des cours de contorsion pendant la résidence au Bain St-Michel. Partie d’une image très simple de montée et descente de la marée, Lelerc « travaille la contorsion pour voir comment elle s’inscrit dans le corps de ses interprètes, comment elle peut les faire avancer, monter, descendre, rester sur place, comment un même mouvement peut évoluer d’une personne à l’autre». Le mouvement clé constitue un revirement très simple des contorsionnistes sur eux-mêmes, dont la combinaison leur permet de parcourir des diagonales selon diverses trajectoires dans le Bain St-Michel : « je n’ai jamais aimé arriver dans un espace et y transplanter ce que j’amène avec moi, ajoute la jeune femme. Un lieu parle toujours de lui-même. J’aime l’idée de rendre l’invisible visible, de faire ressortir quelque chose par le corps. »

La contorsionniste nomade s’est ancrée dans le Bain St-Michel pour construire une proposition chorégraphique autour de la contorsion avec Érika Nguyen, Maude Parent et Coralie Roberge. Un peu à contrecœur, Andréane Leclerc a décidé de s’établir à Montréal pour déployer ses projets de création : « le nomadisme viendra avec les rencontres, les collaborateurs qui vont et viennent… ».

Benjamin Kamino : Conversations autour de la danse

Piss in the Pool 9. Performance de Benjamin Kamino. Photo : Benjamin Kamino

Piss in the Pool 9. Performance de Benjamin Kamino. Photo : Benjamin Kamino

Selon Benjamin Kamino, l’aspect négligé du Bain St-Michel apporte une grande liberté : « on n’a pas à se soucier de salir le lieu. Le processus de création et l’œuvre y ont une autre qualité que dans le Bain Mathieu, dont l’intérieur ressemble beaucoup plus à celui d’un théâtre ». Le chorégraphe-interprète zoome sur un détail de l’architecture du Bain St-Michel, à savoir les mosaïques de la piscine, pour mettre en place les prémices d’une deuxième collaboration avec un photographe: « ma pièce pour Piss in the Pool est le début d’une nouvelle création, précise-t-il. C’est une recherche autour de la notion de lieu parfait, bâtie sur une question initiale : c’est quoi le lieu parfait pour moi? J’ai deux réponses, à la fois très différentes et similaires. Mon premier lieu parfait, c’est quand je suis encore un bébé, dans les bras de ma mère qui est alors très jeune. Mon deuxième lieu parfait est dans le futur, alors que je me dissous dans une lumière ou dans une énergie. Ce sont deux lieux très extrêmes, tellement extrêmes qu’ils se rejoignent». Kamino cherche à incarner ces deux états dans sa création pour Piss in the Pool, qui n’est nullement narrative : « je tente d’habiter les deux lieux, de les interpréter à travers des systèmes de mouvement, une trajectoire entre deux coins de la piscine. Dans l’un d’eux, je présente le côté antérieur de mon corps nu et, dans le deuxième, je travaille sur mon espace arrière, qui fait référence à l’inconnu ».

La pièce Place-perfect de Benjamin Kamino s’inspire aussi d’une création d’Ana Monteiro, une chorégraphe portugaise : « dans l’obscurité, on entend un enregistrement de la voix d’Ana Monteiro, qui demande au public d’imaginer la chorégraphie parfaite. C’est une partition géniale, qui permet de réfléchir à la sensation de l’espace, à la durée de la proposition, à l’éclairage, à ce qui se passe, à ce qui pourrait arriver et modifier la pièce. Il s’agit d’une très belle proposition dramaturgique autour d’une danse imaginée, d’un espace de danse imaginé ».

Kamino a décidé de relier cette idée de chorégraphie idéale avec sa réflexion sur le lieu parfait : « j’ai adopté la perspective de la danse car je veux tout le temps être en dialogue avec la danse ». Il a donc invité divers acteurs du milieu montréalais de la danse – des danseurs, des chorégraphes, des programmateurs et des critiques – à venir lui rendre individuellement visite dans le Bain St-Michel pour une discussion autour de la danse et de la perfection, puis à faire une déclaration enregistrée. Kamino se sert d’un enregistreur à cassettes pour créer une trame sonore composée des différentes voix. Lorsqu’il interprétera sa pièce, un de ses acolytes sera installé dans le Bain St-Michel avec un système de son qui permettra de spatialiser les enregistrements, sur fonds de musique chorale.

À travers son processus de création in situ dans le Bain St-Michel, Benjamin Kamino mène une recherche sur l’idée d’état de corps parfait, évidemment reliée à la fois au temps et à l’espace, que le danseur et chorégraphe connecte au mouvement. Ce projet est également « une excellente occasion de rencontrer de nombreux artistes montréalais et de discuter avec eux, précise-t-il. À travers ce processus, j’ai développé plusieurs amitiés ». Cette pièce pourrait être le fantastique début d’une conversation collective impliquant divers protagonistes de la scène montréalaise des arts vivants. Partant d’un lieu-laboratoire, le Bain St-Michel, elle semble s’étendre au « peuple de la danse » et à d’autres lieux qu’il sillonne, voire à la ville elle-même.

Helen Simard : Ceci n’est pas une chorégraphie

Piss in the Pool 9. Pièce d'Helen Simard, The last song : live version, en répétition. Photo : Roxane Ross.

Piss in the Pool 9. Pièce d’Helen Simard, The last song : live version, en répétition. Photo : Roxane Ross.

Helen Simard, chorégraphe-interprète, critique à Danscussions et chercheure en danse, s’approprie le Bain St-Michel pour la deuxième fois. En 2011, elle y avait présenté un solo intituté On the subject of compassion. Dans cette réaction très spontanée à l’attaque qu’avait subie la chorégraphe Margie Gillis lors d’une entrevue à la télévision Sun News, Simard se penchait sur le rôle de l’artiste dans la société.

Cette fois-ci, Helen Simard travaille avec le groupe montréalais de musique Dead Messenger, dont fait partie son mari, Roger White. Il ne s’agit pas de la première collaboration de Simard avec celui-ci, qui a composé nombre de trames sonores pour ses créations et qui co-organise avec elle le Potluck Artistique, une manifestation où des artistes de la scène se produisent exclusivement pour leurs pairs dans une ambiance festive. Il ne s’agit pas non plus de la première œuvre d’Helen Simard qui brouille les pistes entre concert et mouvement. À Short & Sweet 9, en décembre 2012, elle avait concocté un moshpit surprise – Go Chopping : Part 1 – qui restera dans les annales de la Sala Rossa. Elle a également chorégraphié un vidéoclip de Dead Messenger, auquel avait participé plusieurs danseurs et performeurs locaux.

Dans cette nouvelle pièce, la chorégraphe s’intéresse au recadrage chorégraphique, « dans lequel des objets ou des expériences qui ne sont pas perçus comme de la danse peuvent être réexaminés et réévalués à travers le cadre chorégraphique, explique Helen Simard. Le cadre nous dit comment regarder l’art, nous donne un contexte… Je cherche à cerner ma propre vision de la « chorégraphie en tant que pratique étendue », que de nombreux artistes de la danse et chercheurs développent depuis plusieurs années en Europe ». D’ailleurs, Simard a récemment réalisé une analyse chorégraphique d’un documentaire sur le groupe AC/DC.

Piss in the Pool 9. Pièce d'Helen Simard, The last song : live version, en répétition. Photo : Roxane Ross.

Piss in the Pool 9. Pièce d’Helen Simard, The last song : live version, en répétition. Photo : Roxane Ross.

Dead Messenger n’a jamais joué en concert le dernier morceau de leur nouvel album, The last song. Ceci a donné à Helen Simard l’idée de transformer ce morceau en performance, qu’elle nomme The last song : live version : « j’avais envie de chorégraphier une performance qui ne soit pas un spectacle traditionnel de danse. Je ne parle pas de musiciens qui font des mouvements de danse merdiques et ironiques ou de danseurs qui jouent mal d’instruments de musique. On en voit déjà assez ». Pour Piss in the Pool, Simard invite un public composé en grande partie d’afficionados de danse à regarder une performance musicale en portant la même attention au corps et au mouvement qu’il accorderait à une chorégraphie : « Tous les musiciens doivent utiliser leurs corps et s’entraîner à faire des enchaînements de mouvements incroyablement complexes pour chanter ou jouer leurs instruments, souligne-t-elle. Ils sont tellement physiquement engagés à l’égard de ce qu’ils font! Mais généralement ces mouvements sont occultés, ils sont considérés uniquement comme un moyen de création d’une autre forme artistique. Alors je me suis dit, pourquoi ne pas porter attention à ces « mouvements dérivés » et voir si nous pourrions apprécier le potentiel poétique du corps humain en mouvement, remettant ainsi en question nos suppositions de ce qu’est la « danse » et de ce qu’elle n’est pas? ».

Si le moshpit de Simard au Short & Sweet 9 était très chaotique, voulu par sa créatrice comme une performance « coup de poing dans la face », sa pièce pour Piss in the Pool – interprétée par les musiciens de Dead Messenger et plusieurs danseurs et performeurs – est plus structurée et orientée davantage vers la simplicité et la réalisation de tâches spécifiques. Cependant, les deux performances ont ceci de commun qu’elles sont surtout expérientielles : « je voudrais créer une expérience viscérale chez le public, plutôt qu’une « œuvre », souligne Simard. J’essaye simplement de créer un monde où les spectateurs peuvent s’immerger pour un moment, que ce soit 3 minutes, 10 minutes ou 2 heures. J’espère que ce sera un monde qu’ils aimeront! »

À l’affiche de Piss in the Pool 9, il y aura aussi des propositions chorégraphiques d’Andrew Tay, Andrée Juteau, Jessica Serli et Simon Portigal. La programmation promet d’être palpitante et très contrastée. Ceci dit, plusieurs participants semblent partager un questionnement à l’égard de la vision du corps, de la chorégraphie, voire de l’idée d’œuvre. On a hâte de faire trempette, d’autant plus que le Bain St-Michel sera fermé pour rénovation pour 18 mois à partir de décembre et que Piss in the Pool devra se trouver d’autres quartiers en 2014.


Piss in the Pool, Bain St-Michel, 26 au 29 juin, 20h30

*La notion du corps sans organes a été proposée par Deleuze et Guattari.

Sens dessus dessous d’Anne-Flore de Rochambeau : Naïades sur terre ferme

Photo : Sens Dessus Dessous d'Anne-Flore de Rochambeau. Photo : Joseph Ste-Marie

Photo : Sens Dessus Dessous d’Anne-Flore de Rochambeau. Photo : Joseph Ste-Marie

Pas de comité de sélection pour le Fringe : un tirage détermine quels sont les artistes à l’affiche et tout le monde, je dis bien tout le monde, peut tenter sa chance. Ce qu’on peut y voir est donc très souvent de l’inachevé, du non fignolé, du non policé, du pas « tout beau tout propre ». Avec un nom pareil, on l’espère bien, d’autant que les chantiers en cours peuvent être palpitants. Mais Sens dessus dessous, la première pièce d’Anne-Flore de Rochambeau, n’a rien d’un chantier en cours. Aboutie et sensible, elle donne à voir l’univers particulier d’une chorégraphe en devenir.

Sens Dessus Dessous d'Anne-Flore de Rochambeau. Photo : Joseph Ste-Marie

Sens Dessus Dessous d’Anne-Flore de Rochambeau. Photo : Joseph Ste-Marie

Quatre femmes sont allongées côte à côte. Au-dessus d’elles, sont suspendus des bocaux d’eau où s’ébattent des poissons rouges. Elles commencent lentement à ramper, à s’extirper d’un marécage invisible. Peu à peu, elles prennent possession de l’espace, se jouant de la gravité pour s’en emparer à nouveau. Anne-Flore de Rochambeau, Marine Rixhon, Marijoe Foucher et Liane Thériault, sont fantastiques en naïades des temps modernes.

Sens dessus dessous_Vanessa Forget-3Pour sa première chorégraphie, dont elle avait présenté des extraits aux événements Passerelle 840 et Vue sur la relève, Anne-Flore de Rochambeau fait mouche en créant un imaginaire bien à elle, où tout s’accorde à merveille, scénographie, éclairages, musique. Les mouvements des danseuses sont empreints de musicalité et semblent respirer avec la trame sonore électro-acoustique d’Hani Debbache, faisant oublier le sempiternel débat de qui doit suivre l’autre, musique ou danse. Mieux, à voir la distribution des interprètes et de leurs gestes dans l’espace, je me suis demandé si la chorégraphie avait des atomes crochus avec la mécanique des fluides. Et si la pièce de Rochambeau est très fluide, elle comporte des ruptures, des moments de suspension et de lenteur, des accélérations. Rochambeau a intégré des changements de tempo non seulement entre diverses séquences, mais aussi entre les interprètes.

Sens Dessus Dessous d'Anne-Flore de Rochambeau. Photo : Vanessa Forget

Sens Dessus Dessous d’Anne-Flore de Rochambeau. Photo : Vanessa Forget

Si la gestuelle, d’une grande physicalité et organicité, est remarquablement bien interprétée par la chorégraphe et les danseuses, elle est souvent inspirée par le travail de Michael Watts, avec qui Anne-Flore de Rochambeau a suivi un atelier. Watts prend appui dans son écriture chorégraphique sur la technique de flying-low et est lui-même influencé par David Zambrano et Damien Jalet. Centré sur le rapport au sol et le recyclage de l’énergie d’un mouvement à l’autre, le flying-low fait appel à la gravité, utilisant notamment la force centrifuge et l’énergie cinétique. L’emphase est mise sur les connexions dans le corps, en particulier entre le centre et les articulations. Quand les danseurs bougent toutes leurs articulations à partir du centre, des spirales émergent. Ce qui permet aux danseurs de se mouvoir, d’aller au sol et de remonter, ce sont ces spirales. Ceci dit, si Rochambeau emprunte au flying-low de Watts, qu’elle combine avec des techniques d’éducation somatique, elle se l’approprie, en faisant de cette gestuelle brute et athlétique quelque chose de féminin, d’aquatique et de moelleux. Toujours est-il que le début et le milieu de la pièce, propres à la chorégraphe, laisse entrevoir une écriture très inventive, qu’on espère la voir développer davantage dans ses prochaines créations.

Anne-Flore de Rochambeau plonge son public dans un monde qu’elle a construit de toutes pièces, avec ses changements de texture et ses microcosmes. La jeune femme est de la trempe dont sont faits les chorégraphes.

Short & Sweet # 11 : Festin de poche

Performance de Tedd Robinso et Charles Quevillon. Photo : Michael Kovacs.

Performance de Tedd Robinso et Charles Quevillon. Photo : Michael Kovacs.

Si le FTA ne fait guère la part belle aux premières et deuxièmes œuvres, il prévoit tout de même une tribune pour la création émergente locale en accueillant le Short & Sweet. Retour sur la onzième version, une vingtaine de friandises chorégraphiques à se mettre sous la dent. La consigne donnée aux artistes pour l’occasion était d’investir l’espace.

Performance d'Andreane Leclerc. Photo : Michael Kovacs.

Performance d’Andreane Leclerc. Photo : Michael Kovacs.

On ne présente plus le Short & Sweet, cette plateforme d’expérimentation où des artistes de la scène ont 3 minutes pour présenter leurs performances. Le contexte y est détendu, festif et arrosé. Comme le rappelle les organisateurs, Sasha Kleinplatz et Andrew Tay, cette manifestation invite les participants à prendre des risques, sans se prendre au sérieux. Le public, éclectique, s’approprie ensuite la piste de danse.

Performance des Soeurs Schmutt avec elles-mêmes, Gabrielle Surprenant-Lacasse, Claudia Chan Tak, Marine Rixhon, Anne-Flore de Rochambeau, Robin Pineda Gould et amis et artistes invités.  Photo : Michael Kovacs.

Performance des Soeurs Schmutt avec elles-mêmes, Gabrielle Surprenant-Lacasse, Claudia Chan Tak, Marine Rixhon, Anne-Flore de Rochambeau, Robin Pineda Gould et amis et artistes invités.
Photo : Michael Kovacs.

Dans ce onzième cru particulièrement allumé, certaines performances portaient la marque de fabrique de l’artiste, tandis que d’autres relevaient davantage de l’exploration d’autres avenues et de l’expérimentation». Les artistes se sont bel et bien emparés de l’espace, que ce soit par le corps ou le son. Les propositions, très variées comme à chaque édition, étaient souvent de l’ordre de la performance ou du théâtre, parfois verbeuses et parfois non : Le fou rire d’Irene Discós a pris d’assaut scène et salle ; Catherine Gaudet a mis en scène Dany Desjardins se livrant à un monologue désopilant à propos de sa passion pour son chat ; Natacha Nicora, une artiste de Bruxelles incarnait une créature feuillue étrange qui a littéralement donné naissance à un poisson rouge ; Claudia Chan Tak a concocté un lip synch tragicocomique d’une chanson de Whitney Houston avec Louis-Elyan Martin qui enchaînait Short & Sweet avec Khaos d’O Vertigo à l’Usine C. Deux autres interprètes de la même compagnie ont aussi débarqué in extremis : Caroline Laurin-Beaucage a chorégraphié une performance insolite et poétique, sorte de sculpture vivante avec Esther Rousseau-Morin et Rachel Harris enduites de plumes et manipulant un poulet ; le Prélude à l’après-midi d’un douchebag, actualisation de la pièce de Nijinsky par Andrew Turner était hilarant et pétri d’inventivité. En effet, il y avait aussi de la danse, souvent dans un registre parodique, comme chez Katie Ward, accompagnée par Leif Vollebekk, qui posait une question très pertinente – « qui juge de la qualité d’une performance de danse contemporaine? » – et chez Stephen Thompson, qui balayait la scène avec des rubans esprit gymnastique rythmique déjantée en compagnie d’Ame Henderson. Celle-ci est la fondatrice de la compagnie torontoise Public Recordings, à l’affiche au FTA avec What we are saying, pièce singulière sur l’impossibilité d’être vraiment « ensemble ». Thompson et Henderson ont été rejoints sur scène par des spectateurs, qui se sont avéré être des danseurs et des comédiens montréalais. Les Sœurs Schmutt ont repris l’hymne musical et dansé de Schmuttland , extrait de leur pièce éponyme, faisant participer des danseurs et des non-danseurs qui faisaient partie de leur public au Bistro Arrêt-de-Bus (je ne l’ai pas vue au Short & Sweet, pour la bonne raison que je faisais partie des spect’acteurs) ; Tedd Robinson, en compagnie de Charles Quevillon, ont intégré des éléments de bois dans leur surprenante appropriation de l’espace et ont même disparu de la scène à un moment. Certaines propositions étaient sulfureuses, comme celle de Gerard Reyes et Billy l’Amour en magnifiques drag queens et celle d’Andreane Leclerc se livrant à des contorsions dans un fauteuil.

Performance chorégraphiée par Caroline Laurin-Beaucage avec avec Esther Rousseau-Morin et Rachel Harris. Photo : Michael Kovacs.

Performance chorégraphiée par Caroline Laurin-Beaucage avec avec Esther Rousseau-Morin et Rachel Harris. Photo : Michael Kovacs.

L’épilogue, très représentatif de l’esprit de Short & Sweet, était proposé par Benjamin Kamino. Installant sur scène le poisson rouge rescapé de la performance de Natacha Nicora, il a invité tout le public à se lever, à fermer les yeux et à danser au ralenti, en lui faisant trois suggestions pour l’inspirer : imaginer un orgasme continu ; bouger en pensant à son espace interne ; se prendre pour Benoît Lachambre.

Performance chorégraphiée par Isabelle Boulanger, avec alexandre fleurent, noémie dufour-campeaun, michelle clermont daigneault, catherine st-laurent et audrey rochette. Photo : Michael Kovacs.

Performance chorégraphiée par Isabelle Boulanger, avec alexandre fleurent, noémie dufour-campeaun, michelle clermont daigneault, catherine st-laurent et audrey rochette. Photo : Michael Kovacs.

Étant organisé dans le cadre du FTA, cette édition de Short & Sweet était gratuite et avait lieu dans le QG du festival, le Cœur des Sciences à l’UQAM. Si l’atmosphère feutrée et intime de la Sala Rossa convient particulièrement bien à Short & Sweet, la mayonnaise a tout de même pris au Cœur des Sciences. Le public était très diversifié et comprenait des curieux, des passants, des festivaliers et beaucoup de monde de la scène artistique montréalaise. Ce joyeux mélange contribuait à créer une ambiance bon enfant, très communautaire, propice à l’expérimentation.

Performance chorégraphiée par Stephen Thompson avec lui-même, Ame Henderson, Clara Furey, Benjamin Kamino, Tomas Furey, Jocelyn Lebeau, Simon Portigal, Thea Patterson et  Jean-Baptiste Veyret-Logerias. Photo : Michael Kovacs.

Performance chorégraphiée par Stephen Thompson avec lui-même, Ame Henderson, Clara Furey, Benjamin Kamino, Tomas Furey, Jocelyn Lebeau, Simon Portigal, Thea Patterson et Jean-Baptiste Veyret-Logerias. Photo : Michael Kovacs.

Performance chorégraphiée par Stephen Thompson avec lui-même, Ame Henderson, Clara Furey, Benjamin Kamino, Tomas Furey, Jocelyn Lebeau, Simon Portigal, Thea Patterson et Jean-Baptiste Veyret-Logerias. Photo : Michael Kovacs.[/caption]Ce Short & Sweet était le premier de Thompson en tant que participant, bien que celui-ci en ait entendu parler depuis des années et ait assisté à une édition il y a quelques temps. Artiste nomade au gré des projets, vivant entre le Canada et l’Europe, Thompson était l’un des interprètes de What we are saying et l’un des enseignants du stage Transformation Danse à Montréal. Interrogé sur sa première expérience de Short & Sweet, Stephen Thompson dit « beaucoup aimer cette idée d’échantillons d’univers d’artistes ». Pour lui, « des manifestations comme Short & Sweet sont importantes car elles sont en-dehors d’une convention, celle de l’économie. Les artistes n’attendent pas de contrepartie monétaire, ils ne sont pas payés. Pour cette 11e édition, le public ne paie pas non plus – note de l’auteure : et, pour les autres, un prix modique – cette absence de convention monétaire crée un environnement essentiel pour les échanges artistiques ». Thompson souligne aussi que Short & Sweet « pose des questions intéressantes sur la durée d’une performance, sur ce qui est accessible ou non dans un court espace de temps », ajoutant que « créer une performance de trois minutes implique la même dose de pression et de doute de soi qu’une pièce d’une heure. Mais c’est en quelque sorte moins traumatisant. Faire partie d’une programmation genre buffet varié évoque une nostalgie familière, celle des festivals de patin artistique et des compétitions de danse. Ce format a renforcé ma confiance dans ma manière de créer. Je crée quelque chose avec l’ethos ou l’idéologie que je cultive en ce moment et je l’inscris dans un lieu et un contexte. C’est fini après. Peut-être que cela réapparaîtra et peut-être pas ».

Performance de Gerard Reyes et Billy l'Amour. Photo `: Michael Kovacs.

Performance de Gerard Reyes et Billy l’Amour. Photo `: Michael Kovacs.

Ce compte-rendu n’est pas exhaustif, alors rendez-vous à la prochaine édition, pour un nouveau mezzé de performances. Short & Sweet est une excellente occasion pour découvrir les arts de la scène en faisant la fête. Vous y verrez à la fois des créateurs chevronnés, émergents ou débutants. Qui sait, vous pourrez peut-être dire que vous avez vu le prochain enfant terrible de la danse montréalaise à ses débuts. Puis, danser les yeux fermés avec 500 personnes qui se prennent pour Benoît Lachambre, ça vaut le détour.

Short & Sweet 8

Short & Sweet 9

Dors de Grand Poney/Jacques Poulin Denis : Leurs nuits sont plus belles que leurs jours

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.


À moins d’être épuisé ou plongé dans un paradis artificiel, on ne s’endort jamais immédiatement. Entre l’éveil et le sommeil, il y a un intermède durant lequel la pleine conscience de soi se désintègre progressivement. La plupart des gens y perçoivent des bribes d’images, des couleurs ou des fragments d’idées. Dors, la pièce participative de Grand Poney à mi-chemin entre danse contemporaine et théâtre, recrée sur scène cette curieuse zone de transit à la lisière du sommeil. Présentée au OFFTA, elle traduit parfaitement ce que la nuit peut avoir d’intangible et d’irréel, alors que l’on passe de la veille à la somnolence, puis au monde qu’on crée soi-même, ces rêves chargés d’émotions, dépourvus d’inhibitions et riches de créativité.

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.

Au Théâtre d’Aujourd’hui, des chaises sont parsemées dans la salle, faisant face à un écran. On s’installe au petit bonheur et je me retrouve au premier rang. Deux interprètes jouent avec des objets, créant une projection onirique. On bascule dans l’obscurité. Je vois des pieds derrière le rideau. Jacques Poulin-Denis apparaît en pyjama, le visage éclairé par en-dessous par une lampe, et se plante devant moi. Il commence à raconter à mi-voix une histoire, dont le surréalisme gore évoque un rêve puis, très vite, un cauchemar. Ou koshmar, pour voler le terme de l’écrivaine Marina Lewycka. Rivée au lèvres du conteur – feu follet aux allures de pierrot lunaire joyeux, Poulin-Denis a cette manière de raconter qui vous subjugue – je ne me rends pas compte tout de suite du charivari qui se passe derrière moi. Au bout de plusieurs minutes, sentant du mouvement, je me retourne et vois plusieurs personnes qui courent partout, montent sur les chaises, crient, se déshabillent pour se retrouver en pyjama ou nuisette. J’apprendrai plus tard que pendant j’écoutais le koshmar, des personnes assises parmi le public avaient protesté « ça fait chier quand on n’entend rien », puis s’étaient levées.

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Bapiste Gellé.

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.

En quelques instants, les interprètes défont la salle, nous faisant lever de nos sièges à coup d’explications farfelues : « on a besoin des chaises pour une vente de charité », « cette lumière est cancérigène », « une rivière à haute tension par ici », puis nous regroupant dans le centre de la pièce. On se retrouve tous assis par terre en cercle. Les spectateurs désormais interprètes se livrent à un jeu avec des draps. L’éclairage disparaît à nouveau et on n’y voit que dalle. On est frôlés par des corps qui passent parmi nous. S’agit-il des danseurs? Des spectateurs chuchotent, rient. Plongée directe dans les jeux d’enfance.

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.

Pendant Dors, le public est immergé dans toutes les situations qui pourraient arriver la nuit. Bataille de polochons, somnambulisme, réveils brutaux en pleine nuit, téléphones qui sonnent, chicanes de couples, rêves qui virent au cauchemar, étreintes, ces fameux rêves où on cherche quelqu’un mais sans le trouver, où une personne prend les traits d’une autre … On est ballotés, pris à partie, physiquement et mentalement. Fred Gagnon, dans un très beau solo, se couche de temps en temps par terre près d’un spectateur et se fait caresser la tête. À un moment, on se retrouve tous debout, à danser une valse avec un interprète ou un spectateur. Dors, c’est comme une nuit peuplée de rêves, il s’y raconte beaucoup d’histoires plus ou moins surréalistes qui ont toutes un goût de palpable et plausible. A-t-on rêvé? Est-ce que ça a vraiment eu lieu, ce moment où un interprète a un malaise et tous les danseurs essayent de le ranimer en mimant une réanimation cardiaque sur place, sans le toucher, au son d’une musique électronique dont les beats vont aussi vite que les battements d’un cœur affolé? Et cette séquence très puissante où, dans l’obscurité, on entendait les gémissements de plaisir des danseurs dispersés parmi nous, au même niveau que le public? Et ce passage où un interprète portant une blouse d’hôpital ouverte dans le dos se promène avec une poche à sérum lumineuse et engage un dialogue avec un ours, rappelant le film Donnie Darko, autre œuvre sur l’intervalle entre la réalité et les chimères?

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.

Dors de Grand Poney. Photo : Jean-Baptiste Gellé.


Dors est une pièce euphorisante et engageante, portée par des interprètes remarquables, généreux et jusqu’au-boutistes. Elle rappelle qu’une œuvre artistique devrait se vivre comme une expérience. Même si Poulin-Denis crée des pièces contrastées, on retrouve dans Dors sa « griffe », sa capacité à créer de toutes pièces un imaginaire propre à lui, imagé, onirique et sensoriel, facile d’accès à qui veut y entrer.

Dans le monde où on vit aujourd’hui, il ne semble plus y avoir beaucoup de place pour l’utopie, le rêve, les états transitionnels. Freud disait qu’on dévêt son psychisme quand on rêve, se rapprochant de l’état d’enfance. Dors fait partie de ces créations où on dévêt son psychisme les yeux grands ouverts, pour apprendre à entrevoir le possible.

Direction : Jacques Poulin-Denis
Musique : Martin Messier / Jacques Poulin-Denis
Lumière : Marie-Eve Pageau
Conseiller artistique : Gilles Poulin-Denis
Interprètes : Mélanie Demers, Katia Gagné, Frédéric Gagnon, James Gnam, Renaud Lacelle-Bourdon, Maria Kefirova, Brianna Lombardo, Nicolas Patry, Gilles Poulin-Denis, Jacques Poulin-Denis, Claudine Robillard, Catherine Saint-Laurent.

Compagnie Mau/Lemi Ponifasio : Les oiseaux dansent aussi

Birds with skymirrors. Compagnie Mau. Photo : Sébastien Bolesch.

Birds with skymirrors. Compagnie Mau. Photo : Sébastien Bolesch.

Les impacts des changements climatiques se font déjà sentir. Ils constituent même un danger pour l’existence des Îles du Pacifique à cause de la montée des eaux. Ces îles dont est originaire Lemi Ponifasio, dont le FTA présente la création Birds with skymirrors. Une prière dansée pour un monde ravagé, à la fois visuelle et expérientielle, pendant laquelle le temps suspend son vol. De cette transe collective, on ne ressort pas tout à fait indemne.

Le chorégraphe samoan – qui habite aujourd’hui la Nouvelle Zélande – est un chef maori qui a fait des études en philosophie et en sciences politiques. Le nom de sa compagnie – un collectif d’artistes, d’activistes, d’intellectuels et de leaders communautaires – vient du parti indépendantiste maori. Il n’est donc pas surprenant que son travail soit engagé et politique. C’était déjà le cas pour Tempest : without a body, à l’affiche au FTA en 2011. Sans pour autant être narrative, Birds with skymirrors a d’emblée un propos clair et lisible : la scénographie est dépouillée, dans des tons sombres. Un panneau en biais coupe la scène, ce qui fait que les interprètes ne seront jamais au centre de la scène (traduisant le rapport circulaire à l’espace dans la culture samoane dont le chorégraphe fait état dans un entretien avec Fabienne Cabado pour le FTA). Des panneaux réfléchissants rappellent des miroirs, comme ces miroirs que semblent porter dans leurs becs ces oiseaux qui transportent des bandes magnétiques, l’image qui a inspiré Ponifasio et qui est le fil conducteur de la pièce. Dans cette atmosphère apocalyptique, un homme commence à bouger dans l’espace, de dos. Il est presque nu et son corps est couvert de peintures rituelles. Il bouge lentement et on voit les frémissements de ses muscles et ligaments, comme s’il était traversé par les ondes de la folie ordinaire des humains. Ses bras, magnifiques, commencent à se déployer. On dirait des ailes engluées dans le goudron. Avec une force qui résonne, il donne des tapes à son sternum, qu’il ouvre face au ciel, comme une offrande.

Birds with skymirrors, compagnie Mau. Photo : Sébastien Bolesch.

Birds with skymirrors, compagnie Mau. Photo : Sébastien Bolesch.

Ponifasio dit ne pas créer de chorégraphies, mais orchestrer des cérémonies. Ainsi, ses danseurs, de par leurs vêtements, crânes rasés, expressions et mouvements, sont des moines. Très inventive, leur gestuelle conjugue la danse contemporaine, les mouvements des animaux et le haka, une danse chantée traditionnelle maorie. Contrairement à ce que son appropriation par des équipes de rugby l’a laissé croire, le haka n’est réservé ni aux hommes, ni aux déclarations guerrières. Les interprètes sont tour à tour des oiseaux luttant pour leur survie et les protagonistes d’une cérémonie qui célèbrent la vie et déplorent la destruction. Ils semblent glisser sur de l’eau, marchant très rapidement dans leurs longues jupes étroites, alors que leur bras se déroulent et ondulent beaucoup plus lentement. Leur danse devient par moments insurrectionnelle, alors qu’ils tapent différentes parties de leur corps, debout ou assis en tailleur dans une ligne face au public. Spectaculaires, théâtrales, un trio de danseuses aux yeux exorbités évoque des prêtresses, poussant des complaintes de pleureuses et des cris perçants d’oiseaux. On verra même apparaître un homme à face d’oiseau, sculptural, portant une sorte de cache-sexe en acier, tel un personnage à la Enki Bilal.

La trame sonore participe à la création d’une expérience contemplative et hypnotisante : une musique électronique qui mélange des sons synthétiques et des sons réels d’oiseaux, de lac, de rivière, que vient interrompre les chants empruntant au haka, invocations, vociférations et litanies des interprètes.

Birds with skymirrors, compagnie Mau. Photo : Mau.

Birds with skymirrors, compagnie Mau. Photo : Mau.

Hommes-oiseaux, femmes-oiseaux. La culture samoane, que les insulaires ont relativement conservée malgré des siècles d’influence occidentale, est caractérisée par un rapport particulier à l’environnement : apparu bien après tous les autres êtres vivants, l’humain est considéré comme l’enfant du cosmos. Il fait partie de l’environnement. On retrouve cette idée dans le langage, où les mêmes termes désignent des parties du corps et des composantes écologiques. Encore aujourd’hui, la culture samoane est imprégnée de la notion du Va, qui signifie à la fois relation, affiliation, communauté, responsabilité, différence, séparation, obligation… Le Va, c’est la connexion entre tous les êtres vivants.

Birds with skymirrors, compagnie Mau. Photo : Kamrouz.

Birds with skymirrors, compagnie Mau. Photo : Kamrouz.

Et puisque l’humain fait partie de la nature, il éprouve dans sa chair la dégradation environnementale dans Birds with skymirrors. La création donne à voir des corps souffrants, notamment lorsque les danseurs pliés en deux s’avancent sur la scène, leur épiderme parcouru de convulsions. L’être humain tend à oublier qu’il est connecté à l’environnement et ceci entraîne une douleur généralisée, semble souligner Ponifasio, reliant le corps à la fois au politique et au cosmologique.

L’un des danseurs avait le visage peint en blanc. Était-il le bec d’un oiseau, dont chaque composante était un des autres interprètes? Une transformation radicale des visions et des pratiques à l’égard de l’environnement, de nos modes de vie, est urgente. Puisse la danse contemporaine y contribuer.

Vous pouvez écouter ici une première expérience de baladodiffusion de Ma mère était hipster : Dominique Charron et moi-même avons discuté du spectacle à la sortie, sans filet, sur les marches de la Place des Arts.

OFFTA : Jeunes Pousses

Parce qu'on sait jamais, de Dans son salon. Photo : Guillaume Briand.

Parce qu’on sait jamais, de Dans son salon. Photo : Guillaume Briand.


Festival défricheur et fureteur en lisière du FTA, le OFFTA fait la part belle aux démarches in(ter)disciplinées et à la relève. Coup de projecteur sur les créateurs en devenir à l’affiche cette année.

Collaborant depuis leurs études communes à l’UQAM, Karenne Gravel et Emmalie Ruest ont lancé leur compagnie de danse le 22 février dernier à l’occasion d’un souper performatif jouissif, Fin de party, au Café-Bistro Arrêt de Bus. Elles interpréteront leur création Parce qu’on sait jamais pendant un programme double au Théâtre de la Licorne les 29 et 30 mai à 18h (suivie de Koalas, une pièce de théâtre de Félix-Antoine Boutin). Dans Parce qu’on sait jamais, on retrouve les jeunes walkyries cocasses et beckettiennes de la création Fin de Party, alors qu’elles s’improvisent gourous et guident le public vers le « bonheur » : « C’est une création sur l’idée de la marchandisation du bien-être, dit Emmalie Ruest. On a constaté qu’on doit tout le temps être prêt à tout, performant, connectée, tout en étant zen, bien dans sa peau et en contrôle de la situation. Ce sont des réalités et des pressions que tout le monde vit. » La gestuelle de Parce qu’on sait jamais est inspirée à la fois de la culture populaire, de la danse contemporaine et du yoga. L’humour déjanté des deux chorégraphes leur permet d’amener sur le tapis des sujets sérieux : « Nos personnages sont des versions clownesques et amplifiées de nous-mêmes, précise Emmalie Ruest. Elles sont drôles et elles font rire, même quand on soulève certaines situations dramatiques». Le duo Dans son Salon sera également de la partie pendant Le pARTy de La 2ème Porte à gauche le 30 mai, proposant deux numéros, un extrait de Fin de Party et la chorégraphie que les deux comparses avaient concoctée pour Misteur Valaire.

Quant à la soirée de petites formes de la relève, Nous sommes ici, il s’agit d’une sorte de OFF du OFF, qui aura lieu ce dimanche 26 mai à 20H au Théâtre des Écuries : « c’est une soirée tremplin pour les jeunes artistes nouvellement diplômés des différentes écoles de théâtre, de danse et d’art performatif » explique Katya Montaignac, qui fait partie du comité de programmation du OFFTA. Cette manifestation donne à voir sept propositions courtes, trois créations de danse, trois pièces relevant de la performance et une œuvre de théâtre.

Alliage composite d'Élise Bergeron et Philippe Poirier. Photo ' Sébastien Roy.

Alliage composite d’Élise Bergeron et Philippe Poirier. Photo ‘ Sébastien Roy.


Entre autres, Alliage composite est un duo chorégraphié et interprété par Élise Bergeron et Philippe Poirier. Ces derniers se sont rencontrés pendant leurs études à LADMMI et ont rapidement développé une belle connivence : « on a commencé par créer de petits duos plus ludiques, représentatifs de notre amitié » raconte Élise Bergeron. La création présentée à l’OFFTA a émergé à travers un processus d’expérimentation sur une connexion physique par l’avant-bras : « on s’est mis à expérimenter et à chercher toutes les possibilités de mouvement sans jamais perdre la connexion, poursuit Bergeron. Dans cette proposition, on est dépendants l’un de l’autre tout en étant constamment à la recherche de l’équilibre, C’est un travail d’état, qui demande beaucoup d’écoute et de réceptivité». Les deux chorégraphes y jouent avec les montées d’énergie et les moments de vulnérabilité, construisant de cette manière « un langage kinesthésique et non narratif » souligne la jeune femme. Le résultat de ce travail, ajoute Bergeron, c’est une « pièce contemplative et très plastique », qui n’est pas dans le ton joueur de leurs premières collaborations. Les deux acolytes préparent actuellement une nouvelle création programmée en octobre à Tangente.

Mi nouh de Claudia Chan Tak avec elle-même et Massiel de la Chevrotière Portela. Photo : Anne-Flore de Rochambeau.

Mi nouh de Claudia Chan Tak avec elle-même et Massiel de la Chevrotière Portela. Photo : Anne-Flore de Rochambeau.

[La manifestation Nous sommes ici présentera également le travail de Claudia Chan Tak. Celle-ci dansera avec Massiel de la Chevrotière Portela dans Mi nouh, une pièce qui parle, comme son nom l’indique, de félins. « C’est parti d’une envie de lâcher prise et d’avoir du plaisir dans un nouveau processus de création après avoir fini mon BAC en danse, explique Chan Tak. Pour ma création au spectacle des finissants, j’avais travaillé avec 5 interprètes depuis plusieurs mois. Pendant nos pauses, on se racontait souvent nos histoires de chats et on se montrait des vidéos de chats. J’ai donc eu envie de délirer sur ce sujet et de faire sortir les petites filles en nous, deux petites filles qui créent un spectacle sur leur amour pour les félins avec ce qu’elles croient avoir compris de la danse contemporaine. Un peu comme ces petits spectacles qu’on préparait pour nos parents quand on était enfants… ». Actuellement en maîtrise de danse en recherche-création à l’UQAM, Claudia Chan Tak a plus d’une corde à son arc : danse, vidéo, arts visuels, confection de costumes : « le mélange danse, vidéo et nouvelles technologies, je trouve ça riche de possibilités, dit-elle. Autant sur l’aspect visuel, conceptuel, sensoriel, interactif, etc. » Chan Tak dansera notamment pendant la soirée Short & Sweet organisée dans le cadre du FTA le 4 juin – dans un extrait de Schmuttland Pour une utopie durable des Sœurs Schmutt et dans un duo créé avec Louis-Elyan Martin – et participera aux prochaines Danses Buissonnières. Reste à découvrir si son chat orange, Madame Koechel, se produira dans Mi nouh, mais on n’en saura rien.

Les Paroles d'Alix Dufresne. Interprète sur la photo : Rachel Graton. Photo :Maxime Côté.

Les Paroles d’Alix Dufresne. Interprète sur la photo : Rachel Graton. Photo :Maxime Côté.


Alix Dufresne, étudiante en mise en scène à l’École nationale de théâtre, proposera dimanche un extrait dépouillé de sa pièce Les Paroles, tirée du texte éponyme de l’auteur australien Daniel Keene et jouée par Rachel Graton et Mickaël Gouin : « le texte constitue une courte parabole poétique de 12 pages, empruntant au vocabulaire du nouveau testament » raconte Dufresne. La transposition théâtrale de ce texte fait appel à un langage à la fois verbal et corporel : « il y a une grande implication physique, ajoute Dufresne. C’est pour cela que j’ai choisi des acteurs qui sont aussi des danseurs ». Mais le travail d’Alix Dufresne ne convoque pas la danse-théâtre pour autant : « Le mouvement s’intègre à la parole, ils sont liés de manière organique, insiste la metteure en scène. C’est une œuvre très symbolique. Il y a quelque chose de primitif, de très sensoriel ». La création Les Paroles semble s’inscrire parfaitement dans le thème du cru 2013 de l’OFFTA, le désenchantement : « C’est l’histoire d’un prêcheur qui va de ville en ville pour parler de Dieu, mais personne ne l’écoute. C’est un récit d’errance, de quête de sens. Finalement, on réalise qu’on est responsable de notre bonheur et de notre malheur, et c’est très angoissant ». Cette errance et cette angoisse, Alix Dufresne les travaillent dans le corps, évoquant dans un esprit tout barthien l’émotion qu’on peut éprouver devant une pièce dont on ne comprend pas la langue, puisque « quelque chose de fort émane du corps ».

Let’s get it on! de Julia Barrette-Laperrière.  Interprètes: Gabrielle-Bertrand-Lehouillier, Marie-Reine Kabasha, Christina Paquette, Philippe Dandonneau, Sébastien Provencher. Photo : Fannie Bittner Dumas

Let’s get it on! de Julia Barrette-Laperrière. Interprètes: Gabrielle-Bertrand-Lehouillier, Marie-Reine Kabasha, Christina
Paquette, Philippe Dandonneau, Sébastien Provencher. Photo : Fannie Bittner Dumas


Pendant Nous sommes ici, on pourra aussi voir un extrait de Let’s get it on! de Julia Barrette-Laperrière et les créations Operation Jest Defrost de Michelle Couture, Journée Bleue de Maude Veilleux V. et Le voyage astral de Les Sabines.

Ravages environnementaux, guerres, oppressions, drames quotidiens. L’heure est au désenchantement. Mais ils et elles sont là, artistes d’aujourd’hui et de demain, qui créent « cet art vivant » qui « répond à notre désir, désespéré parfois, de nous sentir vivants »*.

*L’auteur, dramaturge et enseignant Joseph Danan dans l’ouvrage Entre théâtre et performance : la question du texte.

Bienvenue à Schmuttland

Schmuttland : pour une utopie durable. Photo : Robin Pineda Gould

Schmuttland : pour une utopie durable. Photo : Robin Pineda Gould

Dans le cadre de Québec Danse, les Sœurs Schmutt présentent « Schmuttland : pour une utopie durable », une performance d’anticipation déjantée au Café-bistro aRRêt dE bUS dans Hochelaga Maisonneuve. Si Schmuttland était un Oreo, le chocolat serait une expérience très festive et le crémage serait une critique sociale succulente. Mais vous pouvez vous arrêter au chocolat. Demain, c’est la dernière. Pourquoi vous devez absolument y aller en 10 raisons.

1. On y mange, on y boit, on s’amuse, on rit, on participe. Ce n’est pas un spectacle, c’est une fête.

2. Le concept de la soirée, c’est un cabaret dînatoire. Vous pouvez juste grignoter ou prendre un des deux repas -délicieux soit dit en passant, non Dance from the Mat ne fait pas encore dans la critique culinaire – le rouge ou le vert.

3. À l’entrée, le stagiaire douanier vous souhaite la bienvenue, vous remet une trousse d’immigration et vous emmène vous faire photographier sous le décor de votre choix.

4. La Ministre de l’intérieur et des belles jambes – ce soir, Anne-Flore de Rochambeau et Gabrielle Surprenant Lacasse – qui parle un drôle de dialecte où les mots sont des mouvements de ses fameuses jambes, vous guide jusqu’à votre table.

5. On fait connaissance avec ses voisins qu’on peut même emmener pour une jasette sous la tente formée par la jupe à cerceaux de Marine Rixhon, une Schmutta (citoyenne de Schmuttland, masculin Schmutto).

6. Le spectacle a lieu tout au long de la soirée, à travers des mini-performances et des expériences immersives proposées au spectateur qui se font de manière organique pendant le souper. Il y a de la danse contemporaine, de la vidéo, de la musique, du théâtre qui se télescopent joyeusement. La gestuelle est originale et décalée, portée par des interprètes talentueuses, qui se prennent au sérieux juste ce qu’il faut.

7. Schmuttland a une langue spéciale et un hymne national chorégraphié que vous pouvez apprendre et pratiquer.

Schmuttland : pour une utopie durable. Photo : Robin Pineda Gould

Schmuttland : pour une utopie durable. Photo : Robin Pineda Gould

8. Claudia Chan Tak est géniale et très convaincante en Ministre de la Défense de Schmuttland, tout droit sortie du film Kill Bill avec une pincée de House of Flying Daggers. Mention spéciale pour son combat contre Chuck Norris. Faudrait pas que Tarantino vienne nous la piquer.

9. Les sœurs Schmutt portant des masques à gaz dansent un slow debout sur la table à côté des convives.

Schmuttland : pour une utopie durable. Photo : Robin Pineda Gould

Schmuttland : pour une utopie durable. Photo : Robin Pineda Gould

10. On peut passer une excellente soirée, les papilles et les mirettes heureuses. Et on peut aussi aller plus loin si on le souhaite. Schmuttland est un show futuriste, avec une atmosphère cabaret des horreurs* rappelant l’imaginaire du film la Cité des enfants perdus ou encore celui de la photographe Diane Arbus, une Diane Arbus version Technicolor au pays des bisounours. Mais l’univers qu’imaginent les Sœurs Schmutt avec leurs comparses est loin d’être tout rose. Au contraire, on y détecte des relents d’oppression. Les sœurs Schmutt en sont les impératrices, le bâtiment national est façonné à leur effigie et pendant la présentation de la maquette, elles nous en énumèrent sur un ton réjoui les avantages : chambre de méditation, sauna, chambre de torture… Le pays utopique a un ministère de la propagande et pour en apprendre la langue, on a le choix entre la lobotomie, le lavage de cerveau ou la greffe de tresse. Tout cela nous est présenté de manière très divertissante, l’air de ne pas y toucher. Un peu comme dans 1984 de George Orwell. Les Sœurs Schmutt semblent non seulement remettre en question le système d’immigration en vigueur dans certains pays, dont le Canada, mais aussi faire une critique de nos sociétés de plus en plus aliénantes, aliénantes par les systèmes politico-sécuritaires et aliénantes en raison de nos choix de vie, de travail, de communication… Et toute cette aliénation, nous l’acceptons trop facilement, trop allégrement, semble être le propos du show. Les deux sœurs jumelles remettent également en question l’importance que se donnent les artistes, notamment les chorégraphes, ainsi que leur rapport au public et à leurs collaborateurs, dans une « parodie d’elles-mêmes et de leurs tendances chorégraphiques », selon la dramaturge et spécialiste en danse contemporaine Katya Montaignac. Une performance truculente, interdisciplinaire, délicieusement lucide et absurde, où on ne sait pas où donner de la tête et où ne s’ennuie pas une nano-seconde. Bon voyage, attachez vos ceintures.

• Selon un spectateur, Fabien Durieux.

Schmuttland : pour une utopie durable

Créé et interprété par les Soeurs Schmutt, Claudia Chan Tak, Gabrielle Surprenant Lacasse et Robin Pineda Gould,

Artistes invités : Frédéric Gagnon, Jo-Annie Major Marine Rixhon, Franck Marchenay et Anne-Flore de Rochambeau

Photographe invitée à exposer pendant le spectacle : Katia Gosselin

Dernière : 27 avril à partir de 19h30
Appeler pour réserver : 514 521 6111
Le Café-bistro aRRêt dE bUS
4731 rue Sainte-Catherine Est
24-27 avril 19h30
Contribution volontaire pour le spectacle

Danse ton printemps

Le 29 avril, c’est la Journée internationale de la danse. Et au Québec, on ne festoiera pas une journée, mais toute une semaine. Du 22 au 29 avril, aura lieu dans toute la province Québec Danse, un événement mis sur pied par le Regroupement Québécois de la Danse (RQD), proposant plus de 150 activités pour tous les âges et investissant les coins et recoins de notre espace quotidien : musées, hôpital, rues, salles de concert, cafés, etc.

Regarder, rencontrer, pratiquer, le programme est alléchant. Il y en aura pour tous les goûts, toutes les mirettes et toutes les bourses. La plupart des activités seront d’ailleurs gratuites. Ce sera notamment l’occasion de vous essayer au flamenco, à la salsa, à la danse contemporaine, au butô, au baladi, à la danse indienne façon Bollywood, etc. Je vous livre quelques-uns de mes coups de cœur à Montréal et ailleurs. Je vous invite aussi à consulter le site coloré et très bien ficelé de l’événement pour choisir vos bonnes pioches, au gré de vos envies et de vos affinités pour telle ou telle danse.

22 avril

Short & Sweet 9. Chorégraphe/interprète : Catherine Lavoie-Marcus. Photo : Anne-Flore de Rochambeau

Short & Sweet 9. Chorégraphe/interprète : Catherine Lavoie-Marcus. Photo : Anne-Flore de Rochambeau

Regarder et faire la fête. Montréal.
Short & Sweet #10, Sala Rossa. 22 avril, 20h30. 10$.
Dans une ambiance festive façon cabaret, 25 chorégraphes ont 3 minutes chacun pour présenter une performance. Quand le temps est écoulé, lumières et son s’éteignent.
Andrew Tay et Sasha Kleinplatz de Wants & Needs danse sont aux manettes. Pour ce cru spécial Québec Danse, le thème est « Le Choix des danseurs ». Des interprètes de tous horizons et âges ont été invités à choisir les chorégraphes et les artistes avec lesquels ils souhaitent collaborer, voire à s’aventurer à se lancer eux-mêmes dans l’aventure chorégraphique.
Retour sur les précédents Short & Sweet ici et ici.

23 avril

Regarder. Montréal
Corps miroirs – Danse au CHUM. Montréal. 23 avril. 12h. Gratuit.
Au parc Persillier-Lachapelle. Rue Alexandre de Sève, au nord de la rue Ontario
En cas de pluie : au salon Lucien-Lacoste de l’Hôpital Notre-Dame. 1er étage du Pavillon Mailloux Nord, 1560 Rue Sherbrooke Est (accès par la rue Alexandre de Sève au nord de la rue Ontario)
Bis repetitis : Le 28 avril à 15 h. Infos sur lieu : http://www.2013.quebecdanse.org/activites/corps-miroirs/

Corps Miroirs. Interprète : Caroline Gravel. Photo prise par une participante-patiente-chorégraphe au projet.

Corps Miroirs. Interprète : Caroline Gravel. Photo prise par une participante-patiente-chorégraphe au projet.


La danse s’invite à l’hôpital, des patients se font passeurs de mouvements et chorégraphes. Corps Miroirs est un projet fascinant de médiation culturelle soutenu par le RQD, conçu et orchestré par la danseuse, chorégraphe et enseignante Isabel Mohn. Il donne à voir une performance pour 5 danseurs chorégraphiée par une dizaine de patients des cliniques ambulatoires des départements de psychiatrie, santé mentale et toxicomanie du CHUM. Le processus de création chorégraphique est basé sur huit rencontres animées par Isabel Mohn, regroupant des patients âgés de 18 à 56 ans et les danseurs Caroline Gravel, Daniel Firth, Hanako Hoshimi-Caines, Lina Cruz et Sonya Stefan. Ces rencontres avaient été précédées de deux ateliers à une dizaine de membres du personnel soignant, avec le concours de la danseuse Maryse Carier. Ce projet ouvre de passionnantes perspectives quant aux bienfaits thérapeutiques de la création artistique et de la collaboration entre milieux de pratique.

Regarder, rencontrer et discuter. Québec
La danse s’expose au Musée de la civilisation de Québec. Québec, 23 avril, répétitions ouvertes de 12H à 16H, présentation à 16H, contribution volontaire.

J’ai un faible pour l’incursion des arts de la scène dans les musées. Cela permet d’amener un autre public au musée et d’exposer le public des musées à des champs qu’ils ne connaissent pas nécessairement. Et situer de la danse dans un lieu où les œuvres d’art sont en général statiques et nos mouvements autour d’elles très contrôlés bouscule nos schémas de pensée et offre un regard différent sur le rapport à l’art et à soi-même en tant que spectateur.

En résidence au Musée de la civilisation de Québec, l’interprète et chorégraphe Catherine Larocque propose au public d’assister à ses répétitions, suivies d’une présentation plus formelle, tout en répondant à toutes les questions tout au long de la journée.

Regarder. Montréal.
Kiss de Tino Sehgal. Toute la semaine. Gratuit. Exposition au prix de l’entrée du musée. Musée d’art contemporain de Montréal. 185 rue Ste-Catherine ouest. Montréal
Métro : Place-des-Arts.
Vous avez peut-être entendu parler des « situations construites » de Tino Seghal, composées de séquences chorégraphiées et d’instructions orales exécutées par des «joueurs» et «interprètes» au sein de musées. Pour Kiss, des couples réinterprètent des baisers qui ont marqué l’histoire de l’art, suivant une partition chorégraphique de huit minutes. Les chorégraphes/interprètes Rosie Contant et Frédéric Wiper se prêteront au jeu les 23 et 24 avril de 11h à 13h.

24 avril

Regarder. Estrie
Aventures Impromptues avec la compagnie de danse Sursaut. Centre des arts de la scène Jean-Besré, 250, rue du Dépôt, Sherbrooke. 24 avril, 17H. Gratuit.

Les interprètes de la compagnie de danse Sursaut proposent une performance de « spontanéité chorégraphique ». Avec Stéphanie Brochard, Amélie Lemay-Choquette, Simon Durocher-Gosselin, Francine Châteauvert, Amandine Garrido Gonzalez et Xavier Malo.

Pratiquer. Montréal.
Mais quelles racines! Atelier d’exploration butô.
Studio Bizz (Coin Iberville). Studio G. 2488 Mont-Royal est. Montréal. 24 avril, 19H-21H. Gratuit. Places limitées. Réservation : speranzaspi@gmail.com

Récemment, à Montréal, avait lieu plusieurs activités sur le butô, une conférence de Fabienne Cabado, des ateliers de Yoshito Ohno ainsi qu’un spectacle de Lucie Grégoire et Yoshito Ohno, In between. Vous avez ici l’occasion de poursuivre l’exploration – ou de l’entamer- avec cet atelier offert par Speranza Spir sur les notions d’appartenance et d’identité.

Schmuttland(hauteresRegarder. Montréal.
Schmuttland: Pour une utopie durable. Café-bistro aRRêt dE bUS. 24-27 avril. 19H- 22H. 4731, Ste-Catherine Est
Montréal (Québec). Métro : Viau. Contribution volontaire pour le spectacle, menu payant si vous souhaitez souper.

Est-il besoin de présenter les sœurs Schmutt, compagnie chapeauté par deux sœurs jumelles, connue pour ses créations immersives, expérientielles et oniriques ? Elles proposeront une performance protéiforme, évoluant parmi les convives d’un cabaret dînatoire (ou souper performatif, c’est au choix) et conjuguant danse, théâtre, musique et vidéo.
Si vous ne connaissez pas encore le Café-bistro aRRêt dE bUS, pour y avoir vu récemment une performance de la compagnie Dans son salon, je recommande pour le lieu joyeux, l’atmosphère conviviale, le concept rafraîchissant et le plaisir des papilles gustatives. Une nouvelle manière de penser le show, par un lieu qui offre des résidences et un espace où se produire aux artistes émergents.

25 avril

Pratiquer. Québec.
Atelier de Contact Improvisation. 25 avril, 16H-19H. Gratuit. 464 Saint-Benoît. Québec.

Regarder et rencontrer. Montréal
La Poêle – Activités dans le nouveau studio de Sarah Bild et Susanna Hood, 16H-19H. Gratuit. Places limitées. La Poêle, 5333, Casgrain, local 307, Montréal. Métro : Laurier. susannahoodhum@gmail.com

Les chorégraphes Susanna Hood et Sarah Bild ont récemment créé La Poêle, un espace de recherche chorégraphique. Elles vous proposent d’assister à une répétition publique et de découvrir les possibilités de ce nouveau lieu.


Regarder. Montréal.

Les Masques dans un Jardin sans Domaine. Performance des ateliers de Danse & Création dirigés par Louis Guillemette sur leur travail « imprographique » autour du thème du masque. 25 avril, 20H30. Gratuit. Studio 303. 372 Ste-Catherine Ouest, local 303. Montréal.

Regarder. Montréal.
Spectacle de fin d’année de la Troupe de danse contemporaine de l’UQAM. 25 et 26 avril. 20H. 12/15 $. Studio-théâtre Alfred Laliberté
Pavillon Judith-Jasmin
Local J-M400 (niveau Métro)
405 rue Ste-Catherine Est
Montréal. Métro : Berri-UQAM. Billets en prévente au Centre sportif de l’UQAM.

26 avril

Pratiquer. Québec.
Flashmob – Danse dans les escaliers.
Annulée en cas de pluie. 26 avril, gratuit.
Lieu de la session préparatoire à définir.
Performance au pied des escaliers du Faubourg [Côte d’Abraham / De la Couronne], à Québec.

Pendant une flashmob, en français mobilisation éclair ou foule éclair, un grand nombre de personnes se retrouvent dans un lieu public pour réaliser une action identique et convenue d’avance. Cet événement est l’occasion de participer à une flashmob dansée à Québec, chapeautée par Delphe Infini, préparée par une rencontre exploratoire. Ouvert à tous et toutes.

Horaire :
16h00 à 17h30 : Séance d’exploration en studio
17h30 à 17h50 : Déplacements
à partir de 17h50 : Flashmob aux escaliers du Faubourg
Courriel : creations.delphe@gmail.com

When we were old, de Chiara Frigo et Emmanuel Jouthe. Photo : Vanessa Forget.

When we were old, de Chiara Frigo et Emmanuel Jouthe. Photo : Vanessa Forget.

Regarder. Montréal.
When we were old de Chiara Frigo et Emmanuel Jouthe à l’Agora de la danse, coprésenté avec Tangente. 24, 25, 26 avril. 20H.
Prix : 20$ à 28$ Agora de la danse. 840, rue Cherrier. Montréal.

Cette création est née d’une collaboration entre la chorégraphie italienne Chiara Frigo et le chorégraphe québécois Emmanuel Jouthe. Dans When we were old, deux univers se télescopent pour transposer dans les corps, avec une grande physicalité, la transformation continue de l’espace environnant et la nécessité de faire peau neuve. Le dialogue aide à se réinventer, puisque l’ensemble des parties est plus riche que leur somme.

Voir, soutenir et s’approvisionner en photos de danse. Montréal.
Clic! Misez sur l’art – un encan photo pour Tangente. 26 avril, 17h30. Gratuit.
Salon b
4231 b, boulevard Saint-Laurent
Montréal . Métro : Saint-Laurent
Direction artistique : Erin Flynn et Marie-Ève Tourigny
Pour assister à la soirée de l’encan-vernissage, réservez avant le 19 avril à l’adresse suivante: laurane@tangente.qc.ca.

Une vingtaine de photographies de danse seront mises à l’encan. Les recettes iront à Tangente et les photos seront exposées jusqu’au 9 mai. Parmi celles-ci, on trouvera des instantanés de La La La Human Steps, la Compagnie Marie Chouinard, Julie Artacho, Marc Boivin et Angelo Barsetti, Estelle Clareton, Karine Denault, Dany Desjardins, Catherine Gaudet, Erin Flynn, Caroline Laurin-Beaucage, Louise Lecavalier, Daniel Léveillé Danse, Deny Farley, O’Vertigo, Michael Slobodian, George Stamos, Andrew Tay, Andrew Turner et plusieurs autres. Prix de départ pour tous les portefeuilles.

27 avril

Śūnya. Interprètes Thomas Casey, Ziya Tabassian, Pierre-Yves Martel. Photo : Michael SlobodianRegarder. Montréal.
Śūnya, Sinha Danse/Constantinople, à la Cinquième salle. 24. 25. 26. 27 avr. 20h00. Prix : 36,50$. Place des Arts – Cinquième salle. 260, Boulevard de Maisonneuve Ouest. Montréal.
Sous la férule du chorégraphe indo-arménien Roger Sinha et du compositeur aux racines iraniennes Kiya Tabassian, hommes frontaliers aux carrefours de plusieurs cultures, entrent en dialogue la danse contemporaine, la musique d’inspiration persane et nourrie de pratiques anciennes orientales et méditerranéennes, les arts martiaux, le théâtre et le Bharata Natyam, une danse issue du sud de l’Inde. Une création pour 4 danseurs et trois musiciens sur la pluralité des appartenances et ces « diversités diverses » dont parle Amartya Sen.

Regarder et pratiquer. Montréal.
Atelier et médiation culturelle pour RAYON X: a true decoy story, une création de Marie Béland. 27 avril, 14H. Gratuit.
Académie de danse d’Outremont au Centre Communautaire Intergénérationnel
999, Mc Eachran
Outremont. Métro : Outremont

RAYON X : a true decoy story, de Marie Béland. Photo : Julie Taxil.

RAYON X : a true decoy story, de Marie Béland. Photo : Julie Taxil.


Cet atelier de danse contemporaine propose une introduction théorique au travail de Marie Béland et au spectacle Rayon X : a True Decoy Story (projection d’un diaporama, visionnement d’extraits de spectacles) ainsi qu’un atelier pratique en lien avec la création (animé par la danseuse Marilyne St-Sauveur, l’une des interprètes du spectacle) et une discussion.

Regarder. Montréal.
Le Musée danse – Journée d’activités au MBAM. 27 avril. Gratuit.
Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). 1380 Rue Sherbrooke Ouest. Montréal.

Le MBAM donne à voir plusieurs activités, le Bal des Bébés, danse afrocontemporaine de mères avec leurs enfants ; une performance dans le jardin des Sculptures par la chorégraphe Catherine Lafleur et un parcours chorégraphique à travers le musée de la chorégraphe Louise Bédard, nourri par les lieux et par la présence du public.

Plus d’informations : http://www.2013.quebecdanse.org/activites/le-musee-danse-journee-dactivites-au-mbam

Regarder. Montréal.
Alors on danse? 27 avril, 16H. Gratuit.
Édifice Jean-Pierre-Perreault
2022, rue Sherbrooke Est
Montréal

Un groupe de personnes non-voyantes et amblyopes présenteront une création de 30 minutes, fruit d’un projet à un projet de médiation culturelle réalisé par Circuit-Est centre chorégraphique, en collaboration avec la compagnie Et Marianne et Simon et le Regroupement des aveugles et amblyopes du Montréal métropolitain (RAAMM). Un projet qui vient bousculer nos idées préconçues sur la danse et les handicaps et explorer d’autres perspectives sur le mouvement.

28 avril

Regarder et explorer. Québec.

Trois Paysages de Danse K par K. Photo : David Cannon

Trois Paysages de Danse K par K. Photo : David Cannon

Installation chorégraphique de la compagnie Danse K par K au MNBAQ. 28 avril. 13H-17H (présentations toutes les 40 minutes). Contribution volontaire.
Musée national des beaux-arts du Québec
Parc des Champs-de-Bataille. Québec.

La compagnie Danse K par K occupe le Musée national des beaux-arts du Québec avec des présentations publiques et la possibilité d’interagir avec le mur conçu par Patrick Saint-Denis pour le spectacle Trois paysages. Je suis tentée d’aller à Québec pour jouer avec l’installation.

Retour sur la création Trois Paysages : http://mamereetaithipster.com/2013/02/14/trois-paysages-de-danse-k-par-kkarine-ledoyen/

Grand Poney : Il faut imaginer Sisyphe heureux*

Jacques Poulin-Denis. Photo : Dominique Skoltz

Jacques Poulin-Denis. Photo : Dominique Skoltz

Il y a quelque chose de savoureux à assister à un chantier en cours. Est-ce que parce qu’on voit l’envers du décor, les ficelles du spectacle, les coulisses où tout se trame? Ou est-ce à cause de l’infinitude des possibilités? Ou encore en raison du sentiment d’être un témoin privilégié du processus de création?

Dans le cadre d’un programme de chorégraphes du Centre Segal et de Danse Danse, la compagnie ou « écurie » d’art interdisciplinaire Grand Poney présentait le 30 mars une œuvre en cours de création : La valeur des choses, une performance insolite, désopilante et sensible, qui fait réfléchir et qui émeut à la fois.

Derrière Grand Poney, il y a Jacques Poulin-Denis, chorégraphe, interprète et compositeur de musique. Il a concocté la trame sonore de plusieurs pièces de théâtre et de danse, notamment celles de Catherine Gaudet, Ginette Laurin et Mélanie Demers, et a sorti deux albums sous le nom d’Ekumen.

Au début de La valeur des choses, des hommes entrent successivement en scène. Chacun d’entre eux porte une boite dans les mains, la dépose par terre, s’en retourne chercher une autre [lecteurs d’outremer, une boite, c’est un carton]. Les boites s’empilent peu à peu, deviennent un échafaudage éphémère et brinquebalant. James Gnam, Jonathan Morier, Francis d’Octobre et Jacques Poulin-Denis reprennent alors les boites, les ramènent dans les coulisses, d’où ils reviennent avec des boites. La pyramide se fait et défait. Les porteurs de boite sont comme Sisyphe et son rocher, ils doivent recommencer sans cesse leur sculpture de carton et papier.

Ces boites représentent-elles ces objets qu’on veut toujours acquérir, ces besoins qui ne cessent d’apparaître? Font-elles référence à la « mythologie de l’économie, ce dieu de l’économie qu’on veut satisfaire à tout prix » que veut amener sur scène Jacques Poulin-Denis? La performance, qui en est à sa quatrième forme et présentation publique, part de la question suivante : Comment parler de la valeur des choses? Question passionnante s’il en est. Peut-on soulever des enjeux économiques, sociaux, philosophiques, éthiques à travers le langage de la danse?

La valeur des choses, Grand Poney. Photo : Brianna Lombardo

La valeur des choses, Grand Poney. Photo : Brianna Lombardo


La valeur des choses fait fi des balises scéniques. Elle émarge à la fois à la danse contemporaine, au théâtre, à la musique, à la littérature et aux arts visuels. Jacques Poulin-Denis, qui a composé la trame sonore, compare son écriture chorégraphique au processus de création sonore : « en électroacoustique, souvent, je prends un son, je le transforme et j’en crée peut-être huit différentes versions qui se développent au cours de la pièce. Et c’est un peu ce qui se passe dans mes créations chorégraphiques, dans la manière dont les personnages apparaissent et dont leur trajet se développe. Je suis moins intéressé à créer du mouvement que des courbes, des montées, des ruptures ».**

Poulin-Denis danse depuis 2006 dans les pièces de Mélanie Demers, qu’il contribue à construire à l’instar de ses acolytes-interprètes de MayDay. Ainsi, on décèle un air de famille entre les deux univers. Comme Mélanie Demers, Jacques Poulin-Denis ne conçoit pas son métier uniquement comme une recherche esthétique, mais aussi et surtout comme une quête philosophique : il cherche à déployer sur scène des questions complexes, qui semblent a priori difficiles à représenter par le mouvement. Comme chez la chorégraphe de MayDay, divers champs artistiques fricotent ensemble chez Poulin-Denis. Mais celui-ci a édifié un monde bien à lui, sobre et verbeux à la fois, à la poésie facétieuse, axé sur la création de sensations. Le geste dansé s’y fait parcimonieux. Le chorégraphe y crée des images puissantes et innervées d’onirisme. Il met en scène divers tableaux, racontant une histoire décousue avec intelligence. On le voit avec un casque sur la tête prolongé d’une branche où est attaché un objet, cherchant par tous les moyens à attraper l’appât, tel un chat et son jouet. Sisyphe encore…. On entend Jacques Poulin-Denis lire une lettre de rupture qui compare l’amour à un investissement qu’il faut rentabiliser. Francis d’Octobre, qui a composé et qui joue au piano un très beau morceau, dont la mélancolie rappelle le folk de Jeff Buckley, lit un texte tout aussi puissant, sur les pulsations de violence qui traversent tout un chacun, les envies de « fracasser des choses qui ont de la valeur ». Jonathan Morier se fait conférencier, et nous parle de la valeur du sucre raffiné, de l’or et du diamant, rappelant la performance de Poulin-Denis au Short & Sweet en mai 2012. James Gnam se love dans un fauteuil avec lequel il fait corps, glissant peu à peu à terre dans un tableau infusé de surréalisme.

Pour parler de la valeur des choses sur scène, Grand Poney l’incarne dans les corps et les interactions des interprètes, édifiant une performance qu’on ressent avant d’intellectualiser. Les scènes de conférence sont-elles vraiment nécessaires, me suis-je demandée? Elles permettent en tous cas de créer une excursion inattendue et délicieusement absurde. Toujours est-il que la valeur des choses n’est pas seulement économique, mais aussi symbolique, culturelle, esthétique… On peut valoriser un objet pour lui-même, pour ce qu’il est, pour ce qu’il signifie, quelle que soit son utilité et sa rentabilité. Cette idée, le mouvement et les images l’expriment à merveille ; on ne la retrouve pas nécessairement dans les conférences, mais celles-ci apportent un contrepoint de mots et de concepts à la performance, exacerbant le côté expérientiel.

Grand Poney présentera au théâtre de la Chapelle la version définitive de La valeur des choses en janvier 2014. Allez voir ces funambules du ressenti, même s’il vous faut prendre un crédit.

* Le Mythe de Sisyphe, Camus, 1942.
* *http://grandponey.com/index.php?page=jacques-poulin-denis

Goodbye de MayDay/Mélanie Demers : Exulter par le corps

Mélanie Demers. Photo : Sabrina Reeves

Mélanie Demers. Photo : Sabrina Reeves

Chorégraphe trouvant son plaisir dans les détails, Mélanie Demers porte un regard d’anthropologue sur le monde, transposant dans les corps les tiraillements individuels et collectifs. Sa danse est un sismographe des réalités d’aujourd’hui. À l’affiche du 20 au 22 mars à l’Usine C où elle est en résidence, sa pièce Goodbye s’attache à dépeindre les renoncements et les deuils par lesquels passe tout un chacun au quotidien.

Présentée au FTA l’an dernier dans sa totalité et à Parcours Danse sous la forme d’un extrait, la pièce Goodbye a fait l’objet d’un remaniement, aussi bien dans le fonds que dans la forme, pendant deux semaines de répétition à l’Usine C : « Reprendre une création, c’est un peu comme rencontrer un ami d’enfance, explique Mélanie Demers. On avait envie de replonger dans Goodbye, mais, avec la distance, certaines parties sonnaient moins juste que d’autres». Trois séquences ont donc été modifiées, ce qui n’est pas négligeable. En effet, Goodbye est une création cyclique, autrement dit une pièce courte qui se répète à l’infini. En outre, il s’agit d’une pièce de détails : « c’est dans les subtilités que tout se passe, précise Mélanie Demers, même s’il y a quelque chose de très souligné ». Et la chorégraphe d’ajouter que Goodbye ne parle pas seulement des pertes, mais aussi des transformations, « des deuils qu’on fait quotidiennement à propos de qui on est, de qui on pense être, pour pouvoir nous réinventer ». La question transversale de la transformation permet justement à Demers de faire un lien entre le fonds et la forme, en connectant les renoncements et les séparations à la structure sisyphéenne de la pièce en dédales : « C’est comme si on était pris dans une machine sans issue et qu’on essayait de trouver une porte de sortie pour accéder à autre chose, peut-être même accéder à nous-mêmes ».

Goodbye. Jacques Poulin-Denis et Mélanie Demers. Photo : Mathieu Doyon.

Goodbye. Jacques Poulin-Denis et Mélanie Demers. Photo : Mathieu Doyon.

[Certes, Mélanie Demers signe la chorégraphie de Goodbye – où elle danse également – mais elle insiste sur l’implication corps et âme des interprètes, Brianna Lombardo, Chi Long et Jacques Poulin-Denis : « avec eux, je suis dans de bonnes mains. Ils ont une grande générosité d’interprètes qui va au-delà de l’exécution et de l’improvisation, dans les fondements mêmes de la pièce ». Le processus de création au sein de MayDay se fait par la discussion, de manière généralement implicite et non formalisée : « la première heure de nos répétitions correspond toujours à une heure de discussion. J’aime beaucoup ce moment où on se parle de ce qu’on a fait de la veille, du livre qu’on a lu, de la chicane qu’on a eu. Cette heure m’indique comment on va travailler, elle me permet de prendre le pouls de notre travail. Pour Goodbye, j’avais initialement une autre porte d’entrée et nos discussions m’ont amenée vers la thématique actuelle ».

La compagnie de Mélanie Demers est dénommée MayDay, soit le signal de détresse lancé par les avions et les bateaux en perdition. Pour la chorégraphe, la danse est bien outillée pour aborder les questions brûlantes, alors qu’on réserve souvent ce rôle à d’autres champs artistiques : « La danse est un médium tellement évocateur lorsqu’il s’agit d’être dans le ressenti, dans l’abstrait, reconnaît-elle. Quand on veut s’attaquer à des thèmes sociopolitiques, c’est peut-être moins facile. Mais ce que j’aime beaucoup dans la danse contemporaine, c’est que c’est un terrain de jeu ouvert. Si on a besoin de parler, on parle. Si on a besoin de chanter, on chante ». En outre, travailler à travers le prisme de la danse convient à la manière de créer de Demers et lui permet d’intégrer tous ses intérêts, que ce soit la littérature, le théâtre ou la musique.

L’envie de Mélanie Demers « d’utiliser son art comme une arme positive » lui est venue de séjours à l’étranger, en Haïti, dans des pays d’Afrique et au Brésil. À l’occasion de ces voyages, la chorégraphe a donné des ateliers, collaboré avec des artistes de danse et de théâtre, fait une résidence, créé une pièce, etc. : « Cela pourrait donner l’image que je m’implique dans ces pays, mais c’est moi qui va apprendre là-bas » souligne-t-elle avec une grande humilité. Ainsi, ces expériences ont beaucoup inspiré la chorégraphe : « j’ai rencontré des artistes qui travaillaient dans d’autres conditions et qui m’ont initiée à une manière de concevoir l’art de manière très différente, beaucoup plus engagée et extrême que ce que je connaissais, car les conditions de vie locales font que c’est l’art ou la mort». Notamment, les pièces Les Angles Morts et Junkyard Paradise sont nées d’une réflexion sur ce que Demers avait vu et vécu pendant ses voyages.

Pour la chorégraphe, la danse a un rôle à jouer par temps de contestation, d’oppression ou de guerre, puisque c’est l’une des premières formes d’art qu’on bannit : « c’est par le corps qu’on exulte, qu’on sent et qu’on ressent. J’aime à penser que, dans tous les contextes, la danse contemporaine peut offrir une spiritualité à travers le rituel de mettre en scène des corps qui donnent, qui suent, qui souffrent, qui tombent, qui chutent. La danse, c’est le lieu de la catharsis où les gens pourraient se reconnaître ».

On a beaucoup dit de Mélanie Demers qu’elle était une artiste engagée. Elle-même se voit comme quelqu’un d’intègre et de passionné : « C’est certain que j’observe le monde où je vis et que je le traduis sur scène. Nous avons créé Goodbye en plein printemps québécois, alors j’étais en plein questionnement. Cela a donné une œuvre moins engagée que Junkyard Paradise, que nous avions construit dans un état d’esprit proche du cynisme. Il semble que je me positionne instinctivement dans mes créations à contre-courant, sans en avoir conscience». L’engagement, c’est peut-être justement tenter de susciter un regard lucide et distancié à l’égard du monde, afin d’être en mesure de le réinventer et de se réinventer en son sein.

Les Gestes de Van Grimde Corps Secrets : Rencontre du troisième type

Les Gestes. Marjolaine Lambert et Sophie Breton. Photo : Michael Slobodian.

Les Gestes. Marjolaine Lambert et Sophie Breton. Photo : Michael Slobodian.

On dit des musiciens virtuoses qu’ils « font corps avec leur instrument ». Et si cette expression était prise au pied de la lettre et qu’on pouvait jouer de son corps comme d’une harpe ou d’un saxophone? Et, si, en dansant, on pouvait altérer ou même produire sa trame sonore? Vous en rêviez, la chorégraphe Isabelle Van Grimde l’a fait. Dans sa dernière création intitulée les Gestes, des danseuses entrent en résonance avec des instruments numériques épousant leur anatomie, tout en dialoguant avec une violoniste et une violoncelliste. Quand la danse prend la musique à bras-le-corps.

Les Gestes. Sophie Breton. Photo : Michael Slobodian

Les Gestes. Sophie Breton. Photo : Michael Slobodian

Le début de la pièce commence dans l’obscurité, que seule vient briser des arcs qui scintillent au sol, tout droit sortis d’un film futuriste. Le public est assis tout autour de la scène sur quatre côtés, un choix judicieux pour les Gestes, qui nous immerge d’emblée dans la création. Une danseuse nue – plus tard, je décèlerai un collant sur lequel est enfilé une sorte de corset – tâtonne dans le noir, découvre un objet en forme d’arc avec lequel elle expérimente. Chaque contact avec l’objet déclenche une sonorité différente. L’interprète le manipule, s’y blottit, l’arrime à ses courbes. Peu à peu, elle se l’approprie, un peu comme si elle nouait un dialogue avec une sorte de créature audible. Danseuse et instrument fusionnent jusqu’à constituer un symbiote. Un peu comme l’algue et la bactérie qui constituent les lichens.

Les Gestes. Soula Trougakos, Photo : Michael Slobodian.

Les Gestes. Soula Trougakos, Photo : Michael Slobodian.

Ce n’est pas la première fois qu’on voit des danseurs arrimés à des artefacts. Ce n’est pas non plus la première fois que des danseurs participent à la création de la musique d’une pièce. On pense par exemple à la Compagnie Linga basée en Suisse et, plus près de nous, à la chorégraphe Marie Chouinard. Isabelle Van Grimde elle-même n’en est pas à ses débuts dans ses recherches sur l’interaction entre son et mouvement.

Mais les Gestes proposent quelque chose de tout à fait inédit, des instruments numériques conçus spécialement pour la danse. Répondant au toucher, à la pression, à la vitesse et aux variations des mouvements des interprètes, ceux-ci émettent des sons. En outre, en réaction aux gestes dansés, ils captent et modifient la musique, composée par Sean Ferguson et Marlon Schumacher et jouée en partie par Elinor Frey (violoncelle) et Marjolaine Lambert (violon). Ces instruments peuvent « spatialiser » un bruit, par exemple en le projetant à travers la scène comme une giclée sonore.

Les extensions anatomiques portées par les danseuses Sophie Breton et Soula Trougakos, à savoir des colonnes vertébrales, des côtes et des visières, sont le fruit d’une longue collaboration du Centre Interdisciplinaire de Recherche en Musique, Médias et Technologie (CIRMMT), de la compagnie Van Grimde Corps Secrets et de l’Input Devices and Music Interaction Laboratory(IDMIL) .

Cette rencontre entre danse contemporaine, musique et technologies numériques, donne lieu à des images frappantes, celles de corps innervés par l’énergie et les décibels, fabriquant la musique sur laquelle ils se meuvent. L’appropriation de la colonne vertébrale musicale est particulièrement réussie, peut-être en raison de sa visibilité et de sa tangibilité. Mais le moment qui me restera longtemps en tête et que j’aurais voulu voir prendre plus d’ampleur, c’est lorsque les musiciennes jouent des instruments-danseuses dans une mise en abîme intimiste et onirique. La connivence des interprètes est encore accentuée par le travail d’éclairage. La sensualité et la tendresse qui imprègnent la pièce est portée à son apogée dans ce morceau. Le violon et le violoncelle ne sont-ils pas des instruments ronds et féminins, tant dans leur forme que dans leurs vibrations et leurs sonorités? Kiki de Montparnasse n’a-t-elle pas posé pour Man Ray en violoncelle?

Au cœur de l’œuvre se trouve le mapping, une cartographie associant les gestes à des effets de bruit. Pour déclencher certains sons, les danseuses doivent faire des mouvements spécifiques. Affectant la gestuelle, ce phénomène semble parfois la contraindre. Caractérisé par des accents, le flux dansé est haché, à la manière des mouvements d’un archet de violon. Mais la fluidité et le brio des danseuses est tel que le saccadé devient organique.

Les Gestes. Elinor Frey, Marjolaine Lambert et Soula Trougakos. Photo : Michael Slobodian.

Les Gestes. Elinor Frey, Marjolaine Lambert et Soula Trougakos. Photo : Michael Slobodian.

Les interprètes des Gestes préfigurent-ils les Homo futuralis? Les danseurs pourront-ils un jour être musiciens ou, même, des êtres complètement autonomes produisant leur propre éclairage via des extensions numériques, un peu comme la super-héroïne Dazzler qui transforme le son en lumière pour éblouir ses adversaires? Qui sait ce que les avancées technologiques nous réservent?

Exigeant des investissements importants, tant sur le plan financier que sur celui de la recherche et de la création, cette oeuvre pose des questions intéressantes d’ordre éthique et philosophique. À l’heure de l’accélération de la technologie et du rythme de vie*, alors que nous sommes de plus en plus déconnectés de la nature, il convient de porter un regard lucide sur les possibilités de transformation des humains en surhumains et « surdanseurs », communiquant avec le monde via des interfaces numériques. D’autant plus que ces possibilités ne seront pas accessibles à toutes les compagnies de danse. Toujours est-il que les instruments anatomiques convoqués dans les Gestes et domestiqués par les danseuses et les musiciennes à travers un long travail d’expérimentation proposent une interaction fascinante du geste dansé et du son, ainsi qu’une ouverture vers une transdiciplinarité qui donne le tournis. Et, surtout, ils permettent de penser et de construire la musique différemment, en symbiose avec ces « gestes [qui sont] l’agent direct du cœur ».**

Van Grimde Corps Secrets / Isabelle Van Grimde
Agora de la Danse. 13-14-15 mars / 20 h et 16 mars / 16 h

* D’après le chercheur Julien Rueff.

**François Delsarte, penseur du 19ème siècle dont les idées ont imprégné de manière posthume la vision de la danse contemporaine.

Salt in my nose, un film en provenance de Beyrouth à Cinedans

Un an après la sélection de We might as well par Cinedans, la réalisatrice libanaise Wafa’a Halawi récidive avec Salt in my nose. Ce nouveau film a ceci de particulier qu’il s’inscrit dans le cadre d’une initiative éducative mise sur pied par Julie Weltzien et Anne Gough à l’Université Américaine de Beyrouth, 4D Dance-Design Design-Dance. Destinée principalement à de jeunes non-danseurs vivant en milieu urbain, 4D vise à « réétablir des connexions physiques avec l’environnement abandonné»,, en faisant appel à une interaction à travers le corps et tous les sens avec le milieu naturel. Le projet prend appui sur l’apport de participants qui développent des séquences chorégraphiques et adaptent celles-ci à un lieu sélectionné par leurs soins. En effet, les instigatrices du projet, Julie Weltzien et Anne Gough, se sont données un rôle de facilitatrices catalysant un processus collectif de créativité et de recherche et ne voulaient surtout pas être des professeurs ou des chorégraphes auditionnant pour une performance.

Le projet 4D est ancré dans les réalités et le contexte du Liban, caractérisé par une mutation accélérée des paysages urbains et ruraux liée à l’urbanisation et par une scène de danse contemporaine en plein essor. Non contentes d’introduire des jeunes au mouvement et à la danse contemporaine, Julie Weltzien et Anne Gough souhaitaient également investir des lieux abandonnés ou marginaux pour des performances éphémères et connecter entre eux les milieux ruraux et urbains. 4D a ainsi donné lieu à des périodes de recherche collective qui ont abouti à la production de trois films de danse dans la montagne enneigée, au bord de la mer et dans la ville, avec le concours de Wafa’a Halawi.

Plus de danse en 2013 ou les voeux dancefromthemat-iens

Pfemmeslus de danse. Plus de livres. Plus de conversations interminables et passionnantes. Plus de shows. Plus de blogues.  Plus de paix. Plus d’amour. Plus de praxis. Plus de fou-rires. Plus de yoga restaurateur. Plus d’éducation hors-les-murs. Plus de performances hors-les-théâtres. Plus d’embrassades dans le cou. Plus de musique. Plus de câlins à vous froisser les côtes. Plus d’esprit critique. Plus de sérénité. Plus de création. Plus de flying squirrel moves. Plus de casseroles qui font du bruit. Plus de « ma mère était hipster » et autres webzines. Plus de faire que de laissez-faire. Plus de marches à pied. Plus de papillons dans l’estomac. Plus d’anguilles sous roche. Plus de tours dans votre sac. Plus de cordes à votre arc. Plus de glögg. Plus de réflexion. Plus d’improvisation. Plus d’herbe sous les pieds nus. Plus de bons films. Plus de tendresse. Plus d’éducation somatique. Plus d’action socio-écologique. Plus de jardinage guerilla et collectif. Plus de robes rouges. Plus de créateurs locaux. Plus de diversité et tutti quanti. Plus de nature. Plus d’amitié. Plus d’écriture. Plus ___________  (tout ce que vous voudrez).

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