Discovery Bal 10ème anniversaire : Le bal est dans leur camp

Photo : Chris Randle

Photo : Chris Randle

L’improvisation en danse et en musique, c’est comme les œufs Kinder, on y trouve de tout. Mais lorsqu’Andrew de Lotbinière Harwood et ses acolytes d’AH HA Productions ouvrent le bal, le temps suspend son vol. Récit d’un moment de pure exultation.

Sur la scène de l’Agora de la Danse, quatre danseurs, une musicienne, un musicien et un éclairagiste – Andrew de Lotbinière Harwood, Marc Boivin, Chris Aiken, Peter Bingham, Diane Labrosse, Pierre Tanguay et Yan Lee Chan – s’en sont donnés à cœur joie hier soir. N’était tracé d’avance nul canevas, tout au plus un vague fil conducteur avait été esquissé : entrée en scène, solo, solo, duo, etc. Mais personne ne savait qui allait lancer la balle, ou plutôt le bal. Ceci a donné lieu à une performance de danse et de musique édifiée en temps réel, instantanée et éphémère, où instruments de musique, objets bruiteurs, voix, paroles et mouvements se sont allègrement donnés la réplique. La création d’hier était à la fois très physique et théâtrale, ludique, sensible et joyeuse.

Photo : Chris Randle

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Le genre de l’improvisation peut sembler aride à certains.  Cependant, celle-ci ne l’est aucunement. Au contraire, elle foisonne de mille textures, mille sensations, mille dialogues, mille idées et ce, sans jamais verser dans l’excès ou la loufoquerie. Et la raison n’en est pas seulement la virtuosité, la sensibilité et la longue expérience des participants dans leurs champs respectifs.  Si Discovery Bal est passionnant, cela tient aussi au fait que la plupart des protagonistes se connaissent et travaillent ensemble depuis très longtemps, depuis  20 à 37 ans. La complicité des interprètes, la confiance mutuelle qui les caractérise, sont essentielles à l’improvisation, ce genre qui repose sur l’écoute, la collaboration instantanée, la responsabilité partagée de chacun et chacune, la prise de risques et l’abandon de tout contrôle sur les choses, qui cultive un état constant de présence et d’attention au monde, à autrui et à soi.Ce pied de nez de l’improvisation aux règles, au désir de contrôle, Andrew de Lotbinière Harwood y fait écho lorsqu’il manipule une chaise en expliquant qu’il a reçu des consignes strictes, qu’on peut faire tourner la chaise, la faire bouger, s’asseoir mais pas monter dessus, « il y a des règles partout aujourd’hui », puis « il ne faut pas monter sur la chaise » répètera-t-il à ses acolytes pendant la performance.

Mais, contrairement à une idée reçue, qui dit absence de contrôle en danse, ne dit pas qu’on peut faire n’importe quoi. Marc Boivin souligne que l’improvisation en danse est une pratique très exigeante et nécessite un corps aiguisé et une très grande attention. Pour ce danseur venu sur le tard à la « chorégraphie instantanée », celle-ci apporte de l’équilibre et de l’harmonie à sa pratique de la danse.

Photo : Chris Randle

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Hier, des personnages se sont incarnés sous nos yeux. Ces personnalités éphémères étaient le fruit de la rencontre du dialogue collectif et des interprètes – qui ne sont pas que des interprètes mais qui dansent et jouent avec tout leur être, avec toutes leurs tripes, sur scène. Aujourd’hui, lors de la deuxième performance (16H à l’Agora) vous verrez peut-être des personnages légèrement ou très différents.

Pour Andrew de Lotbinière Harwood, l’improvisation permet de « construire des passerelles entre la pratique, la poésie de la forme et la performance ». En effet, Discovery Bal, ce n’est pas seulement deux spectacles, c’est aussi une initiative éducative. Chaque année, les shows sont précédés d’un stage intensif pour danseurs professionnels offerts par les défricheurs de la danse improvisée au Canada.

Et côté lumière ? Yan Lee Chan, éclairagiste, improvise rarement dans sa pratique. Mais, pendant Discovery Bal, il ne dispose d’aucun élément et dit réagir à 99% en temps réel à la musique et à la manière qu’ont les danseurs d’habiter l’espace, tout en essayant de construire un parcours, implantant des balises lumineuses dans la déambulation du spectateur.  Quant à la scénographie, c’est simple, Andrew dit la veille du show à ses collaborateurs : « amenez ce qu’il y a chez vous » : ça peut aller d’un décor spartiate à une scène très fournie, comme la fois où les protagonistes ont fait appel à tous les éléments de scénographie de leurs derniers spectacles.

Photo : Chris Randle

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Pour le musicien Pierre Tanguay, « l’improvisation, c’est la vie. Quand on fait un souper, tout est improvisé. Quand on fait l’amour, c’est la même chose. Si c’est préparé, c’est nul». Et d’ajouter que l’improvisation en danse et en musique n’aboutit pas toujours à quelque chose de réussi, mais que la proposition reste toujours valable. Pour improviser, il convoque toutes sortes d’instruments et d’objets : hier soir, on a pu écouter entre autres les sons d’un mégaphone, d’un instrument pour enfants de chez Toys’R’Us et la théière de sa grand-mère : « restez-loin d’un magasin de musique », recommande Pierre Tanguay, qui a même un ensemble « outils de bricolage ».  Sa recette du créer-ensemble et du danser-ensemble? « On s’écoute, on regarde, on s’imagine, on y pense à deux fois, on se fie beaucoup au silence et à l’immobilité et le tour est joué ». Une recette appropriée pour le vivre-ensemble.

Discovery Bal, 10ème anniversaire. Aujourd’hui, Agora de la danse 16H.