Fente-toi d’Isabelle Boulanger / Dans le cercle de Sarah-Ève Grant

Dans le cercle. Photographe : Frédéric Chais.

Cette semaine, Tangente propose un double programme, deux créations très différentes l’une de l’autre, proposées par des chorégraphes de la relève montréalaise : une partie de handball ludique et une expérience transdisciplinaire et enveloppante. Dernière occasion de voir tout cela : demain dimanche 16h, Monument National.

Fente-toi

Alexandre Fleurent, Michelle Clermont-Daigneault, Joanie Deschatelets, Noémie Dufour-Campeau, Alexia Martel, Audrey Rochette et Catherine St-Laurent, les sept interprètes de la compagnie « La grande fente » sont tous frais émoulus de LADDMI. La chorégraphe, Isabelle Boulanger, vient de la cuvée précédente. Elle avait été remarquée l’an dernier aux Danses Buissonnières pour sa pièce « Une grande fente pour dire « allô » ».

Fente-toi. Photographe : Marc-André Dumais,

Fente-toi est inspirée du handball. En effet, Isabelle Boulanger base son écriture chorégraphique sur des actions de la vie quotidienne dont elle « extrait le mouvement dansé ». Elle a emprunté aux sports collectifs de balle, entre autres le handball, leurs « feintes au but », leurs pas, leurs courts, leurs sauts, leurs plaquages.

Les sept joueurs sont tous habillés de shorts, jupettes et teeshirts de couleurs différentes. Ils portent des genouillères. Ils commencent à s’échauffer, puis à se provoquer en duels et ensuite commence la partie. Fente-toi est une création très physique, joyeuse, cocasse, emplie de dérision et d’énergie. Ça fonctionne, on rit, on a même envie de danser. Le dossier de presse annonce d’ailleurs la couleur : « ne vous y méprenez pas, ce n’est pas si sérieux » ; « c’est danser sans se prendre au sérieux ». C’est donc une pièce divertissante assumée. Et j’ai toujours eu un faible pour la transposition de sports en danse.

Fente-toi. Photographe : Sandra Lynn.

Mais deux éléments sont à souligner. Tout d’abord, l’univers de « Fente-toi » baigne dans une esthétique très hipster. Ne vous inquiétez pas, je ne vous ferai pas le topo que vous avez tous entendu maintes fois sur qu’est-ce que c’est un hipster. Ici, je vous parle surtout d’esthétique et d’accoutrement. Renseignements pris, le dossier de presse revendique même ce côté dit hipster : « La Grande Fente, c’est des pantalons en velours côtelé brun et un vieux chandail de laine. C’est vintage, c’est hipster, et en même temps actuel et avant-gardiste ». Et je commence à trouver ça fatigant, un peu comme si l’habit faisait la création. En outre, un travail sur le handball plus poussé, plus engagé, plus brut, aurait pu être très intéressant. Comme le travail de Koen Augustijnen des Ballets C de la B avec les boxeurs.

Dans le cercle

Dans le cercle. Photographe : Frédéric Chais.

«  Dans le cercle » est une création interdisciplinaire de Sarah-Ève Grant, Florence Blain et Jean-François Blouin. La première est interprète et chorégraphe, la deuxième hautboïste et comédienne et le troisième compositeur de musique électroacoustique et concepteur sonore.

L’espace scénique est un cercle lumineux délimité par un tracé en argile au sol. Une partie du public se trouve autour du cercle et une autre partie est au balcon du deuxième étage, surplombant le cercle. On est assis par terre et on peut aussi déambuler, changer de niveau et de perspective.

Au centre du cercle, il y a un micro qui capte les sons et les vibrations : ceux des courses, des mouvements, des respirations et des bruits que font les deux interprètes, Grant et Blain ; ceux du hautbois et de la trame sonore conçue par Blouin ; ceux du micro manipulé par les interprètes. Il y a une boucle de rétroaction constante entre le mouvement et le son : le micro capte le son du mouvement qui est intégré dans la bande sonore, affectant à son tour le mouvement et ainsi de suite. Une boucle infinie comme un cercle.

Pendant leur processus de recherche, les trois comparses ont pris connaissance d’un texte de Matei Visniec, L’homme dans le cercle. Ce texte a imprégné leur création, qui est devenue peu à peu une métaphore de la solitude et de l’enfermement.

Dans le cercle. Photographe : Maxime Pronovost.

Au début de la pièce, Sarah-Ève Grant semble sereine dans le cercle, à l’abri dans une sorte de cocon. Puis progressivement, elle se sent prise au piège, se débat comme un insecte englué dans une toile d’araignée. Un moment particulièrement marquant correspond à ses tentatives d’agrandir le cercle, par un jeu de lumières et de glissades, mais hélas le cercle se referme toujours sur elle. Autre séquences poignantes, Florence Blain joue du hautbois tout en bougeant en sol et finit par tourner sur elle-même à l’infini sans s’arrêter de jouer.

Dans le cercle est une création qui peut paraître très conceptuelle quand on la décrit, mais elle vous happe et vous retient. Un peu comme si on plongeait dans un caisson sensoriel, où seul compte le jeu de la lumière et du son et Sarah-Ève qui glisse par terre hors de son cercle jusqu’aux quatre coins du théâtre. Une pièce qu’on savoure discrètement dans l’obscurité, une pièce transdisciplinaire, puisqu’au-delà de l’interaction entre des artistes de divers horizons, elle fait fusionner différentes approches pour proposer au public une expérience nouvelle.