Marc Boivin, Ana Sokolović et le Quatuor Bozzini : Jeu est un autre

Photo : Michael Slobodian

Une idée sinon vraie, c’est une drôle d’histoire, c’est le fruit d’une série de rencontres. Vous me direz que toute création, tout projet, naît de rencontres. Certes, mais cette histoire-là a commencé il y a cinq cent ans pour aboutir hier soir à l’Agora, en faisant se télescoper musique, danse et inspiration théâtrale. Ana Sokolović, la compositrice montréalaise originaire des Balkans, a proposé au danseur Marc Boivin de mettre en mouvement une musique commandée par le Quatuor Bozzini – quatuor à cordes s’adonnant aux musiques classique, nouvelle, contemporaine et expérimentale – sur le thème de la Commedia dell’arte. De prime abord décontenancé et ne se sentant pas des affinités particulières avec la Commedia, Boivin demande à travailler séparément avec chacun des membres du quatuor. S’ensuit une exploration de 18 mois en studio où tous improvisent, en duo, en trio, en quatuor et en quintette. La musique n’est intégrée qu’une fois le dialogue établi. Et d’interprète et chorégraphe invité, Marc Boivin est devenu co-porteur du projet, co-créateur pour emprunter le terme choisi par les Bozzini : le processus menant à « Une idée sinon vraie » brouille les frontières quant aux rôles des protagonistes, puisque tous participent à la création à travers l’improvisation. Pour les membres du quatuor, prendre sa place de co-créateur en tant qu’artiste est primordial, que ce soit en passant des commandes d’œuvres à des compositeurs, en composant ou en improvisant.

En découvrant les textes de Beolco et le personnage de Ruzzante créé par celui-ci, Boivin se pique peu à peu d’intérêt pour les protagonistes de la Commedia dell’arte, créés il y a cinq cent ans par des acteurs très physiques qui improvisaient sur la base d’un canevas très sommaire. Le premier nom de la Commedia dell’arte était d’ailleurs Commedia all’improviso.

Photo : Michael Slobodian

Le résultat de cette drôle d’histoire est une drôle de pièce obsédante et très graphique, jouée devant un public entourant la scène sur trois côtés, où tous se meuvent : si Marc Boivin dépeint sept personnages de la Commedia par sa danse, Mira Benjamin (violon), Isabelle Bozzini (violoncelle), Stéphanie Bozzini (alto) et Clemens Merkel (violon) ne restent pas figés de côté. Ils évoluent, ils interagissent avec Marc, Marc les touche, les fait bouger par son corps ou sa voix. Ils ont une présence magnétique, comme dans le point d’orgue de la pièce : chaque musicien occupe un côté de la scène dans l’obscurité, avec pour seule lumière un projecteur les éclairant par en-dessous. Et lorsqu’ils bougent, ils continuent à jouer, ce qui fait que la création ne sera jamais tout à fait la même.

Photo : Michael Slobodian

Point de bouffonneries, ni de pitreries dans « Une idée sinon vraie ». C’est une pièce solennelle, évoquant un rituel ou une cérémonie dans quelque lieu de culte futuriste, mais pas austère pour autant : Boivin y est facétieux à l’occasion, jouant de sa cape tel Néo dans Matrix, se drapant dans les pans de celle-ci, actionnant ses zips en harmonie avec tel accord dissonant : un Arlequin grave, mais qui ne se prend pas la tête. Je est un autre, nous dit-il au fur et à mesure qu’il dévide toutes ses facettes. Je est pluriel et ramifié, je est un rhizome*.

*Édouard Glissant disait que l’identité n’est pas une racine-unique, mais une racine-rhizome.

Une idée sinon vraie. Marc Boivin / Ana Sokolović & Quatuor Bozzini. Agora de la danse. C’est complet ce soir, mais il reste demain!